Un bien beau reportage.




C’est dans son petit atelier, dans l’arrière cour d’une ferme abandonnée, que l’équipe de l’Huître Défaite a rencontré son metteur en page officiel.
Mr Gigier, issu d’une famille de metteurs en page depuis 18 générations, pratique encore son métier comme le faisaient ses ancêtres, webmasters officiels de Saint Louis. Et cette filiation n’est pas la moindre des fiertés de l’artisan. La panoplie de ses outils, méticuleusement rangés au dessus de l’établi, donne un aperçu de la complexité du métier.
« Alors là, c’est le clapoteur. Ca sert à insérer les zones de textes. Et là, c’est la pince Addams, pour bien tenir les marges quand on rajoute les images. Au départ, c’était un instrument utilisé dans les accouchements difficiles, mais il arrivait que les parties en nickel irritent les parties intimes des grosses. Alors l’instrument a été abandonné en 1713 jusqu’à ce que mon arrière-arrière-arrière-arrière grand-père pense à le remettre en fonction, dans notre métier. C’est émouvant, quand on y pense. »
L’entretien est interrompu par un coup de fil : c’est le Gaston qui appelle monsieur Gigier. Sa truie est malade, le vétérinaire est impuissant. Alors Monsieur Gigier s’excuse, emballe quelques outils, et part donner un coup de main. C’est vrai qu’ici, à Grobois en Montagne, l’intrusion de la web-économie a tout chamboulé. Monsieur Pierre, le maire de la bourgade, nous le confirme :
« C’est qu’avant que monsieur Gigier vienne s’installer dans la ferme abandonnée du Ronssac, c’était pas pareil, par chez nous. On utilisait le minitel, on regardait la télé. Et puis, aujourd’hui, c’est la révolution. Y a du passage, on a pu rouvrir l’épicerie qui avait fermé en 53. Par contre, on regarde toujours la télé. »
Monsieur Gigier revient, le tablier taché de sang. Il s’excuse humblement, est-il seulement conscient qu’il a changé la vie des autochtones ? Monsieur Gigier secoue humblement la tête, il préfère nous montrer son atelier de gravure sur cuivre, où il réalise l’intégralité des images employées sur notre site.
« J’emploie de la pointe fine de 12, et je grave sur des plaques de cuivre. Il faut environ 3 semaines pour faire une illustrations de 480*320 pixels. C’est de l’enluminure comme autrefois, c’est beau. Là, je forme un apprenti, ça va me donner un coup de main. Mais le vrai drame, aujourd’hui, c’est que les pointes de 12 se trouvent de moins en moins facilement. Il y a là un vrai danger pour les webmasters de demain. »
Et la journée avance, monsieur Gigier nous montre sa brosse en chiendent (pour nettoyer les fichiers et enlever les morceaux de bits qui dépassent), sa perceuse à colonne (pour bien fixer les fonds d’écran), et la tuyauterie d’époque, par où Monsieur Gigier envoie tous les octets, quand le site est prêt.
L’atelier bruisse d’activité, les apprentis et autres stagiaires courent et se démènent. Monsieur Gigier a un carnet de commande chargé:  le site de la NASA, pour 2006, celui de Nike pour 2009 et celui de Coca Cola, « pour quand il aura le temps ». C’est que les plus grandes multinationales se bousculent pour travailler avec Monsieur Gigier. Son travail est désormais reconnu, c’est un peu la star du métier.
« Oui, c’est vrai qu’on a un peu de mal à fournir. Mais notre savoir-faire dépasse celui de nos concurrents, y compris les tchèques. Par exemple, l’autre jour, y avait je-sais-plus-quelle marque de voiture qui voulait faire tout son site en Verdana 12, au lieu de prendre du bon vieux Arial. Peu de gens le savent, mais pour faire du Verdana, y faut une police en étain laminé, ça prend des semaines à faire, et ça pose des problèmes de refroidissement vectoriel, un truc de fou. Avec nous, le site a été fait en 3 mois. C’est pas les cocos qui l’auraient fait, ils seraient encore en train de faire leur avant-projet, salauds de cocos, ahahahah »
Monsieur Gigier crache par terre et touche du bois pour conjurer le mauvais sort.
« Et l’avenir, comment le voyez vous, monsieur Gigier ? »
Monsieur Gigier tourne ses yeux bleus vers le lointain, son regard se fait pensif.
« Ah… le monde du web change vite… dans mon enfance, on travaillait encore au marteau et au burin. Et voilà qu’aujourd’hui, les petits jeunes qui s’installent parlent déjà d’électricité, de vapeur, et tutti quanti. Je suis un peu inquiet. Mais le dévouement et l’art seront toujours les valeurs de base de ce métier. Je donne rendez-vous à mes concurrents dans trente ans.
_ Et, justement, la retraite, vous y pensez, monsieur Gigier ?
_ En fait, l’offre de l’Huître Défaite est bien tombée. Grâce au contrat que nous avons passé avec ARP Média (Antoine René de la Pourtoulerie Média), j’ai pu racheter quelques terres, pour les vieux jours. »
Il désigne du bras les collines, autour.
« Par là, j’ai acheté, par là aussi. Ca me fait une assurance, pour plus tard. Entre nous, je vous le dis : le web, mes ancêtres en faisaient, mais je ne sais pas combien de temps ça durera, encore. Bon, allez, je vous laisse. Si je trais pas les vaches, ce sera trop tard. »
Au revoir, monsieur Gigier. Puisse votre petite entreprise rester prospère, et porter chance à l’Huître Défaite.



PS : suite à lecture de cet article, le Conseil Général de la Côte d’Or dénie fermement toutes les rumeurs selon lesquelles monsieur Gigier aurait racheté l’intégralité du département grâce son contrat de 12.3 milliards d’euros avec ARP Média. Notre rédaction tient toutefois à rappeler que monsieur Gigier vient de se déclarer ‘Seigneur de Côte d’Or’, et d’imposer serment de vassalité à tout homme de plus de 15 ans résidant dans le département.
PPS : suite à lecture de cet article, ARP Média dément le montant du contrat passé avec monsieur Gigier (12.3 milliards d’euros, source AFP). ARP Média déclare qu’un montant aussi ridicule aurait été une insulte au « talent millénaire de ce flamboyant artiste », et que, si le montant exact du contrat ne peut être révélé, il ne s’élève pas à moins de 25 milliards d’euros. Dont acte.





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