Dossier spécial Irak.



Très chères amies, très chers amis.
La guerre est là, la mort arrive, bientôt le repos éternel.
Toutefois, pour respecter les règles les plus élémentaires du journalisme, nous allons vous repasser au ralenti les passages les plus trépidants de notre fatale destinée. Magnéto, Serge !

 

 

 

21 Mars 2003. De l'envoyé spécial de l'Huître à Saint Germain de Calberte (48), Martin Pateau.

***** War in Iraq, our exclusive reporter from the heart of the akchionne*****

Aujourd'hui, 21 Mars, c'est le printemps, mais les plus avisés d'entre vous auront aussi remarqué que c'est aussi la Saint Benoît, bonne fête à tous les Benoît ! Comme dit le bien connu dicton romorantin, " Si tu veux des petits pois, coupe toi les cheveux à la Saint Benoît ", alors vous savez ce qu'il vous reste à faire..
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En ce qui me concerne, je me suis levé avec les hirondelles (soit à 3 heures 30, environ deux heures plus tôt que les poules). Une bonne journée qui a commencé avec le bêchage de mes 12 âcres de terrain. Comme le dit le proverbe dunkerquois, " bêchage du matin, crache toi dans les mains ".

Il est 4 h 45 alors que je pose ma bêche, pour souffler un peu. Le soleil commence à se dire qu'il poindra dans une heure ou deux, mais pas avant. Déjà, le vent du sud apporte, certes de l'air chaud et des odeurs enivrantes venues d'outre Méditerranée, mais aussi de sinistres rumeurs venues d'encore plus loin, des grondements, des explosions.
C'est la guerre quelque part, l'homme de la terre le sent.
Et comme le dit le dicton, " Guerre du matin, reprends du gingin ".
Alors, troublé par ces opaques vagues de sang et de haine, je rentre à la cabane, je débouche la Crouteuse.

La Crouteuse, c'est l'alcool que je fais. Personne n'en fait du pareil, alors comme c'est mon alcool à moi, j'ai eu l'honneur de la baptiser, je l'ai appelé 'la Crouteuse'. La Crouteuse, dans le patois local, ça veut dire...
Non, en fait, honnêtement, ça ne veut rien dire du tout, c'est juste que j'étais torché ce soir-là. Torché à la Crouteuse.
Quoi qu'il en soit, la Crouteuse, j'ai découvert la recette par hasard. C'est de l'alcool de terreau. On prend une demi-bouteille de Cabougnette (l'alcool du père René), on finit de remplir la bouteille avec du terreau du cimetière. On laisse macérer 6 mois (pas plus, sinon ça attaque le verre). On débouche, on filtre (théoriquement, le terreau s’est totalement décoloré, ça devrait ressembler à du gros sel). On ré-embouteille. On laisse reposer 6 autres mois, SANS SECOUER (j’ai une grange qui a explosé lors d’un tremblement de terre à 4 sur l’échelle de Richter).
Après, on peut boire, cul sec, sinon ça attaque les dents.
Le mois dernier, quelqu’un de la ville est venu me donner une " Ahocé ". Il a goûté, il a vomi. Il a re-essayé de goûter, il a à nouveau vomi, encore plus que la première fois. Quand il a repris connaissance, 3 jours après, il a dit que ma Crouteuse était dangereuse, qu’il allait l’interdire, qu’il allait me faire enfermer.
Alors je l’ai saigné, j’ai traîné son corps dans la montagne, et je l’ai enterré dans le cimetière, dans le coin à terreau. Personne n’a le droit d’élever la voix, dans la montagne.

Bref. J’a bu un verre de Crouteuse dans la cabane. Après un verre, on a l’esprit plus aiguisé, on est mieux connecté au monde. J’ai allumé la télé, quelques minutes : j’ai vu tout ce qu’il y avait à voir. Scud, Tomahawk, hélicoptères, porte-avions, Georges W Bush, Saddam Hussein, Clara Morgane (oops, pardon, j’ai zappé).
J’ai éteint la télé, je suis ressorti de la cabane.
Les oiseaux m’ont parlé. (effet Crouteuse).
Ils m’ont raconté des histoires de canons, de fusils, de tank. Ils m’ont raconté leur vie, la vie des hommes, la vie des cailloux. Ils m’ont dit que ma braguette était ouverte.

J’ai vomi.
Quand j’ai repris reconnaissance, le soleil se levait, couleur rouge sang.

 

8 heures.
L’effet Crouteuse se dissipe : les vibrations de la terre ne me parlent plus, et je n’ai plus la sensation d’être un petit canard bleu.
Je lis le journal local, qu’un petit bicyclettiste casquettu a lancé sur la palier de ma porte en hurlant " good morning, mister Smith ! ". Certes, je ne m’appelle pas monsieur Smith, mais bon, j’ai le journal gratuit tous les jours depuis 5 ans, alors je ne cherche pas trop.
J’y lis les misères de la planète.
Je me décide à effectuer mes préparatifs de guerre : direction la supérette du village.

 

9 heures.
Je me suis préparé à affronter la montagne, derrière laquelle se trouve le village. Auparavant, en guise de cérémonie d’apaisement de la déesse des montagnes, j’ai sacrifié deux écureuils à l’aide d’un gros marteau. Puis j’ai mis ma chemise de bûcheron, mon pantalon molletonné, mes chaussures de randonnée, mon bonnet, mon bâton de marche, et je suis parti. Comme l’aurait dit un certain Arthur R. : 

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, - heureux comme avec une femme.

 

10 heures.
J’ai traversé la colline du Cadou, la forêt du Parblanc, le petit ruisseau, l’autoroute A89, la prairie des marmottes tueuses, puis je suis arrivé au village. La supérette était ouverte.
Je suis entré, j’ai hoché la tête à destination de la caissière, j’ai pris un panier en plastique rouge, j’ai erré dans les rayons. J’ai pris 15 kilos de farine, 15 de sucre, 15 litres d’huile, et du bicarbonate de soude, pour digérer.
Au moment de payer, j’ai été surpris. A la dernière guerre, les prix avaient augmenté. Là, ils avaient baissé, beaucoup. Depuis ma dernière venue, les prix avaient, sans exagérer, été divisés par 6 ou 7. Après explications, il semblerait que ce soit un nouveau truc : " l’euro " . Bof, on verra ça après la guerre. La guerre n’attend pas.

 

Midi.
De retour à la cabane. Je suis en plein préparatifs de victuailles nourrissantes et faciles à cacher (au cas où l’ennemi arrive jusqu’ici). Comme je suis sympa, je vous livre une recette, vous me remercierez plus tard.

La Glavette (1 à 2 personnes)

Ingr : 500 grammes de farine, 500 g de sucre, 0.5 L d’huile, 1 œuf, 1 verre d’alcool fort.

Mélangez, dans un saladier tiédi sur le bord de la fenêtre par un doux soleil d’avril, 200 grammes de farine et 200 grammes de sucre. Ajoutez l’alcool (de la Crouteuse ou de la Cabougnette feront parfaitement l’affaire). Ajoutez ¼ de L d’huile. Flambez le mélange hydrocarburé, à l’extérieur de préférence.
Après extinction, vous obtenez quelque chose d’assez étrange. Si le résultat est indéfinissable, c’est bon, continuez.
Cassez l’œuf.
Vite vite, avant que l’œuf ne cuise, faites la deuxième couche, de la même manière que la première : farine et sucre. Puis on arrose d’huile, on flambe.
Le ‘gâteau’ est prêt !

NB : vous pouvez ajouter autant de couches que vous le désirez, en insérant des ingrédients surprises dans les interstices : œufs, pépites de chocolats, fèves, petits animaux vivants.

 

15 heures.
J’ai préparé assez de nourriture pour les quelques semaines à venir. Je bois un petit verre de Crouteuse, puis je me remets à l’écoute de la nature.
Je sors de la maison, c’est un vacarme de voix végétales, minérales, météorologiques, moléculaires et atomiques. Un nuage en forme de nuage, américain, me parle du droit des peuples à la démocratie, de guerre contre la barbarie, d’ingérence contre la voix enrayée des peuples trompés. Un chataignier irakien lui répond liberté, indépendance et autodétermination. Un groupe de brins d’herbe, tous européens, tous d’un pays différents, pérorent à qui-mieux-mieux, se contredisent, se coupent la parole dans un total brouhaha. Une grenouille fait croa croa : l’effet de la Crouteuse se dissipe.
Je m’allonge dans l’herbe, je regarde le ciel. Il faut que je prenne une décision, le monde est au bord du gouffre.

 

15 heures 12.
J’ai pris ma décision.
J’ai ramassé un tas de petits cailloux, je me suis caché derrière le vieux muret, et j’ai attendu. Le premier qui passe, avion ou char, il se mange une caillasse.
Je suis un homme, un homme de la montagne. Je défends la montagne.

 

18 heures.
J’ai attendu, attendu, ils ne sont pas venus (laï laï laï laï). A force, je me suis endormi.
Par contre, dans mon sommeil, j’ai vu la déesse de la montagne.
Elle m’a dit :
" Boudiou, Martin, lâche tes cailloux, abrouti, t’as pas fini de me labourer. "
Je me suis réveillé en sursaut, plutôt surpris. J’ai empoigné mon motoculteur, tant qu’il fait encore jour, et je me suis remis à mes travaux agricoles. Les voies de la déesse montagne sont impénétrables.

 

***** War live from the playground, on l’Huitre Defaite only*****