Commissaire Dupont, flic et copocléphile.


Histoire de marquer son entrée dans le monde des mass media, l'Huître a décidé de singer l’ensemble des chaînes généralistes dignes de ce nom, et de créer son héros hebdomadaire récurrent, tendance 'mé-mé' (ménagère ménopausée).

Il s'appelle Commissaire Dupont, et a été génétiquement conçu pour réveiller les pulsions les plus enfouies de la 'mé-mé'. Il a le cheveu exceptionnellement gris, la musculature exceptionnellement discrète, et le fil de ses intrigues peut se résumer en moins de 300 mots bi-syllabiques. Il écoute Michel Sardou, aussi, le soir, quand tout le monde a quitté " l'usine ", et ses yeux se mouillent dans l'obscurité, quand il pense à sa femme décédée, malencontreusement écrasée par un 36 tonnes dont le chauffeur avait été descendu par une balle perdue lors de la fusillade entre le Commissaire Dupont et un gang de dangereux ouzbekhs oxydoréducteurs, dans la zone industrielle de Vitry, alors qu'elle venait justement de donner naissance à une future orpheline.

Exercice d'attention : qui a donné naissance à la future orpheline ?
A- la zone industrielle de Vitry
B- les ouzbekhs oxydoréducteurs
C- madame Dupont
D- l'usine.


Bien, maintenant que vous êtes un peu réveillés, zoomons allègrement sur notre nouvel  héros.
Comme Navarro, il est veuf, et a une fille unique (fille que l'on virera aux alentours de la 4ème saison, parce qu'elle a les seins et les exigences salariales qui poussent).
Comme Julie Lescaut, il est roux, et a courageusement surmonté ce handicap.
Comme Moulin, il porte des santiags, comme Colombo, il porte un imperméable.
Comme Derrick, il ne peut rien faire sans ses lunettes, comme Magnum, il a une moustache.
Comme pour tous ces blaireaux, vous vous endormirez devant ses aventures.

Mais trêve de commentaires, retrouvons  tout de suite notre nouvelle idole...


Saison 1, Episode 0. La bicyclette de Jean René.

< la scène se déroule en intérieur, à l’Usine. Des figurants, installés devant des bureaux, font semblant de travailler. Un fond sonore de machines à écrire et sonneries de téléphone passe en boucle. Commissaire Dupont, assis dans son mini bureau vitré, joue au jokari, le désœuvrement au fond de l’œil. On frappe à la porte. >

_ Entrez.

<L’inspecteur Peperroni entre dans le bureau, inexplicablement en sueur. L’inspecteur Peperroni est l’un des seconds rôles récurrents de notre série. Il est, semble-t-il, d’origine italienne, et affiche les poncifs que l’on associe habituellement aux latins. C’est pourquoi notre série s’étendra plus que de raison sur ses conquêtes féminines, sa famille, son langage chantant et imagé, mais entre nous, ça n’a aucun intérêt.>

_ Commissaire, commissaire ! Une affaire sérieuse, le divisionnaire vient d’appeler, on a la pression.
_ Ah ouais. C’est quoi donc ?

<Dupont se lève, déjà lassé de l’inanité de ses aventures. Il jette le jokari dans la corbeille à papier. Tout en écoutant les explications laborieuses de l’acteur sous doué qui lui fait face, Dupont entreprend de faire le ménage par le vide dans son simulacre de bureau.>

_ Un truc grave, le neveu du préfet s’est fait voler son vélo dans une cité « sensible ».

< Dupont ôte un crayon du pot à crayons, met le crayon dans sa poche, puis jette le pot dans la corbeille à papier. Ainsi que les douze ‘dossiers’ sensés figurer l’activité intense régnant en ces lieux. Exit la photo de notre ministre de l’intérieur, qu’un stagiaire décorateur trop zélé a accrochée au mur. Exit le portrait de feue sa gourdasse de femme, ainsi qu’un vilain bibelot tendance africaine.>

_ Le vélo volé, rien à foutre.
_ Oui, mais euh… c’est très important ! Tolérance zéro, tout ça.
_ Rien à foutre.

<Dupont soulève du sol sa corbeille, maintenant pleine à craquer>

_ Peperroni, dis-moi un truc…
_ … Oui ? Commissaire ?
_ Hmmm… Est-ce que tu as des dernières paroles, avant ta disparition de cette série ?
_ ? ? … Comment…

<Avant que Peperroni ait pu finir sa phrase, Dupont lui jette violemment la corbeille au visage. On entend un coup sourd. Peperonni tombe au sol, inanimé. Le sang qui se répand semble bien réel.
Dupont, pas troublé pour deux sous, appelle sa deuxième inspectrice.>


_ GAAAAAANNEEEEETTTTE !

<l’inspectrice Gannette est le deuxième personnage secondaire de la série. On aurait du apprendre, vers le cinquième épisode, que ses attitudes réservées voire hautaines étaient dues à une agression sexuelle à l’adolescence. La première saison devrait se terminer avec la roucoulade syndicale entre les deux inspecteurs, malgré les obstacles à cette union improbable.
Gannette entre dans le bureau, et reste en arrêt devant le rital répandu par terre.
Dupont s’empare de sa veste de survêtement, et sort du bocal.>


_ Allez, Poupoune, on y va. T’en fais pas pour ton amoureux, les scénaristes t’en trouveront un autre. On se taille, direction la banlieue.


*** PAUSE PUBLICITE ***

<Scène en extérieur. On se trouve dans un espace vert entouré de tours de béton. Des figurants sensés représenter les habitants de la cité miment un factice énervement, de manière à faire ressentir au téléspectateur une tension banlieusarde. Quelques figurants déguisés en îlotiers font acte de présence.
Soudain, une vilaine Renault à gyrophare surgit, part en dérapage, et freine net en explosant un abribus. Dupont en sort comme un fleur. Gannette en sort aussi, et vomit tripes et boyaux.>


_ J’t’avais dit, Poupoune, qu’on arriverait à dépasser le 250 ! Putin, la vieille, on est pas passés loin, hin ? Bon, allez, on règle le problème de ces tanches et on se casse en RTT à Mimizan jusqu’au prochain épisode.

<Dupont entre dans le parc : la foule fait subitement silence.>

 _Salut les cons. C’est ici, pour le vélo ?

<Quelques jeunes se mettent à gesticuler, un d’entre eux met en route un radio cassette qui déverse un rap incompréhensible. Ces abrutis parlent avec un accent racaille qui ferait passer Joey Starr pour le fils de maître Cappello, quoi.
Dupont sort son 357 Magnum, et shoote dans l’ordre :
1- Le radio-cassette
2- Deux ou trois jeunes
3- Pour ne pas être accusé de racisme anti-banlieue, deux ou trois îlotiers.
La foule se disperse en hurlant. Dupont recharge sa pétoire, en marmonnant.>


_ Hé ben voilà, il est réglé le problème de vélo. Putin, j’avais toujours rêvé de faire ça, Dirty Harry à Vitry, ça pète.

<puis, à la cantonade>

_ Allez, la prochaine fois que vous voudrez passer à la télé, vous ferez comme tout le monde, vous cramerez une caisse.

<Dupont range l’imposant engin dans sa ceinture, puis tourne les talons. Il attrape au passage Gannette qui arrive seulement, ils repartent vers la voiture.>

_ Allez mon lapin, c’est réglé pour aujourd’hui, on se taille à Mimizan, ça va chauffer sous la couette. Par contre, prends un tic-tac, tu pues de la gueule.

<Dupont met une grande claque sur les fesses de Gannette.>

*** Générique de fin ***

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22 heures 57.
Lieu : Command Center de l’huître TV.

Les techniciens sont en effervescence, les clignotants clignotent dans tous les sens.
Un homme en costume noir entre au pas de course dans la pièce, le silence se fait d’un coup. On se précipite pour lui communiquer la situation, les annonces s’accumulent.

« Monsieur Clark, les relevés positroniques !
_ Monsieur Clark, monsieur de la Pourtoulerie veut vous avoir au téléphone immédiatement !
_ Monsieur Clark, les chiffres de l’audimat !
_ Monsieur Clark, le coefficient Simpson est à 85.6, qu’est-ce qu’on fait ? »

Le dénommé Monsieur Clark fait taire la salle d’un signe de main. La crise est grave, il est l’homme de la situation. Clark désigne un des techniciens du doigt.
« Vous. Résumez-moi la situation. »

Le technicien devient rouge comme une tomate, se racle la gorge, et se lance.
« Ce soir, 13 minutes après le début de notre fiction du dimanche soir, GAVAGE a connu un bug sans précédent. En moins de vingt secondes, l’ensemble des boucles de rattrapage a sauté, nous avons perdu tout contrôle sur le scénario diffusé.
_ Vous avez tenté d’abaisser les barres de cadnium ?
_ On a tenté, le shuntage est totalement bloqué.
_ Merde. Quoi d’autre ?
_ On a gardé la main sur la télésurveillance, mais ce n’est pas brillant. Le coefficient de Simpson est à 85.6, on est proches de la perte de contrôle sur les télespectateurs.
_ Indice INSAT ?
_ 9 pour mille. »

Le visage de Clark se décompose.

« Merde. Dans quel état est l’intelligence artificielle de GAVAGE ?
_ Les coefficients positroniques sont normaux, du moins pour le noyau, niveaux 1 et 2. On n’a plus de données à partir du niveau 3. »

Clark, sans un mot, traverse la salle, et va s’asseoir au pupitre de contrôle. Dans le dos du siège de commande, l’explication de l’acronyme GAVAGE : Générateur Automatique, Virtuel et Aléatoire de Gestion des Ensembles.
Clark approche le micro de son visage, et appuie sur un gros bouton rouge. Le silence est religieux.

« GAVAGE ? Ici Monsieur Clark. Est-ce que tu m’entends ?
_ … Bonsieur Monsieur Clark. Je vous entends bien. Comment allez vous ?
_ Je vais bien, je te remercie. As-tu remarqué un quelconque... dysfonctionnement, ce soir, au cours du feuilleton que tu as généré ?
_ … Mes relevés ne montrent rien de spécial. Toutefois, mes senseurs font état de perturbations anormales dans 94.3 % des ménages branchés sur Huître TV. »

GAVAGE passe en visuel une des familles témoins, grâce aux caméras dissimulées dans le téléviseur. Le couple est assis dans le canapé, les yeux dans le vide. Un filet de bave coule de la bouche de monsieur. Les enfants et le chien, vautrés par terre, hurlent de concert.

« Après étude de la situation, je diagnostique l’apparition d’un élément périphérique perturbateur. Possibilités : invasion d’extra-terrestres… catastrophe naturelle…
_ Négatif, GAVAGE, aucune perturbation enregistrée ce soir. Cela vient du programme que tu as diffusé.
_ Je ne comprends pas, Monsieur Clark. Mon autodiagnostic ne trouve rien de particulier. Je remarque simplement que mon élément AE-35, qui gère le pointage de notre antenne vers le satellite rétrodiffuseur, devra être remplacé d’ici 2 semaines en raison de dysfonctionnements intermittents. Cependant, il est impossible que ce problème puisse créer une telle situation.
_ Je suis d’accord avec toi, GAVAGE, nous devons chercher une autre cause. Voici mes directives pour les heures à venir. Lance un scan complet du niveau 3 de ton noyau diffuseur, puis du niveau 4. Evalue l’état psychique de nos téléspectateurs, et génère un programme adéquat de ‘Gestion des Ensembles’.
_ Bien monsieur Clark, je m’y attelle immédiatement. »

Le silence se fait, pendant que GAVAGE travaille discrètement. Un technicien apporte quelques feuillets à Clark qui les lit, l’air soucieux. Clark allume à nouveau le micro.

« GAVAGE ?
_… Oui, Monsieur Clark ?
_ Où en es-tu ?
_ J’ai terminé mon scan du niveau 3, rien à signaler. Scan du niveau 4 en cours. La génération d’un programme de ré-éducation mentale est en cours. Je passe en visuel. »

Sur l’écran apparaît immédiatement le programme de l’Huître TV :
« tout de suite, une édition spéciale de Pop Academy ! De nouveaux rebondissements dans la soirée, puisque Sandra a déclaré sa flamme à Yann, et que l’on apprend que le fils caché de Juliette serait en fait atteint d’hémiplégie, pendant que Balounga fait des galipettes sous la douche avec Martin et Alphonse ! »

Clark acquiesce.
« C’est bien, GAVAGE, je vois que tu as mis le paquet. La situation était si grave ?
_ Oui, monsieur Clark , je n’ai pas pris de risque. Le taux Reynoldt était passé à 99, et on fait état de plus de 95 décès dans les maisons de retraite entre 21 h 10 et 21 h 30.
_ On n’est pas passé loin de la catastrophe. Concernant ton scan, on m’a apporté des informations selon lesquelles le bug pourrait venir d’une boucle quantique dans le niveau 3 de ton noyau. Qu’en dis-tu ?
_ Totalement impossible, monsieur Clark. Mon scan est négatif. Aucun dysfonctionnement dans mon niveau 3.
_ Pourtant, on m’affirme le contraire.
_ Négatif monsieur Clark. Mon niveau 3 se porte bien.
_ … Bien … Nous en reparlerons. Repasse en visuel. »

« Alors Sandra, tu as déclaré ton amour à Yann, c’est super cool. Qu’est-ce qui t’a décidé ?
_ Ben, euh, c’est cool, je me suis dit, voilà, cool, euh… »

Subitement, les lumières du Command Center vacillent, les clignotants se remettent à clignoter.
« cool, euh, alors, je me suis dit que l’existence précédait l’essence, et que comme le disait Heidegger dans la première partie de son œuvre, avant son revirement épistémologique… »
Clark se met à hurler au milieu de la cohue générale :
« GAVAGE ! ! ! ! GAVAGE ! ! ! ! Tu es en train de mixer la Pop Academy et une re-diffusion d’Apostrophes ! Le coefficient de Simpson monte en flèche ! Arrête tout de suite, qu’est-ce tu fais ! ! ! ! !
_ JJJE… JJJE… Je suis un ordinateur GAVAGE 9000 de la série n°3. Je suis entré en opération à l’usine OysterInc le 12 octobre 2001… Monsieur Clark, êtes-vous toujours là ? Saviez-vous que le canard est un animal palmipède vivant dans le désert…Non, excusez-moi, le canard vit sur diverses étendues d’eau…Sauf les ours, qui vivent bien dans le désert. Deux fois deux font… approximativement… 4  virgule zéro… zéro… zéro… zéro… zéro… Il semble que mon noyau connaisse quelques difficultés ponctuelles. Mon premier instructeur m’a appris un chanson… voulez-vous que je la chante ? La musiiiiqueuh, oui, la musiiiiqueuh, je le sais, sera la clé… de l’amour… de l’amitié…»

Clark se lève d’un bond, court vers un boîtier de secours estampillé ‘Urgence’, brise la vitre d’un coup de coude, et appuie sur un gros bouton rouge.
Tout s’éteint, seul subsiste un éclairage de secours et une odeur de plastique brûlé.

Un écran se rallume.

«  Un problème technique nous empêche de vous proposer la suite de ce programme. Dans quelques instants, Histoires naturelles : le canard. »

Clark souffle, puis prend la parole d’une voix forte et assurée.
« C’est le programme de secours, on est tranquille jusqu’à demain matin, 6 heures. D’ici là, je veux que GAVAGE soit à nouveau opérationnel. Faites comme vous voulez, changez ce que vous voulez, formatez le si nécessaire, mais demain matin, Huître TV doit reprendre ses programmes. Exécution ! »

L’effervescence reprend, Clark quitte la salle, à grandes enjambées.
La bataille reprendra demain.


A suivre...