Conseil d'administration 2003 du groupe ARP



Paris, le 31 Mai 2003.

Denier étage du building d’Antoine René de la Pourtoulerie, salle de conférences.
Le conseil d’administration est au complet pour l’étude semestrielle des résultats du groupe.
ARP préside, un chat angora ronronne sur ses genoux. Il se penche vers le micro, doucement pour ne pas déranger le chat, et ouvre la séance.

" Mesdames, messieurs, nous sommes réunis pour entamer notre conseil semestriel. Si tout le monde est présent, je vous propose de commencer rapidement pour que nous puissions aller manger pas trop tard, et éviter la cohue à la cantine. Commençons par les résultats des filiales. Edmond ? "

Le-dit Edmond allume son micro, brasse quelques papiers, et se lance.
" D’abord quelques informations pratiques. Suite à quelques fluctuations, le Top 10 de nos filiales a subi de légères évolutions. Nike passe numéro 1 devant Coca Cola. Ensuite, General Motors, VU, Matsushita, rien de nouveau. L’ensemble des 4510 filiales aura rapporté au groupe plus de 1500 milliards d’euros, une situation positive et stable. Le groupe ARP peut désormais racheter l’Allemagne, chers collègues. "
L’assemblée glousse de concert : un humour discret et huilé n’est jamais absent de ces assemblées conviviales, où la joie de vivre perce sous chaque cravate.

" Merci Edmond, de bonnes nouvelles, donc. John, le point sur la situation politique ? 
_ Une année tranquille. Nous avons réussi à maîtriser globalement les taux d’instabilité, et à tenir l’agitation mondiale dans des niveaux acceptables. Quelques guerres civiles, du terrorisme, du fanatisme religieux par-ci par-là, mais rien d’exceptionnel à signaler.
_ Merci John. Un contexte assez neutre. Passons au cœur du débat, les résultats propres du groupe ARP.  L’Huître TV ? "

Linda prend la parole.
" Des résultats exceptionnels pour cette année. + 10 % d’audimat pour cette année, +500% pour les recettes annexes (jeux, SMS, divers abonnements). La nouvelle formule ‘Du cul, du sang, du sport, de l’humiliation’ marche à merveille. Quelques difficultés techniques quant à notre tentative de génération automatique de programmes pré calibrés, mais ce sont des problèmes de jeunesse, ce sera réglé dans les semaines à venir.
_ Très bien. L’Huître télécom ?
_ Situation favorable. Trois de nos concurrents ont mis la clé sous la porte, ou font désormais partie de notre groupe par rachat massif. L’abondance de capitaux disponibles dans notre groupe fait la différence. Nous sommes désormais solides leaders sur cette branche.
_ Coquille Petroleum ?
_ Nous sommes solidement implantés sur le marché pétrolier, malgré notre arrivée récente. L’année prochaine verra le rachat de 2 ou 3 compagnies majeures. Ca va.
_ Très bien. Qu’est-ce qu’il reste… (Antoine René relit l’ordre du jour de la réunion). L’Huître défaite online, notre web-djournal. Raoul ? "

Raoul devient tout rouge, se dandine sur son siège, et prend la parole, l’air pas décidé.
" Hemm. Depuis le lancement, en mars, ça démarre, euh, doucement. Doucettement. Moderatissimo.
Nous avons enregistré un nombre de connexions, euh… relativement faible. Pour être plus précis, euh… douze. En 2 mois.
_ Douze millions ?
_ Non. Douze. Nous avons enquêté, voici des résultats plus précis. "

Raoul déplie un papier, et le lit in extenso.

" Première connexion, le 27 mars 2003, 22 heures 53. Julien Marçaud, 17 ans, Lille. Après interrogatoire serré de nos services de renseignements généraux, il s’avère que c’est une erreur. Le sujet a fait une faute de frappe en cherchant des sites porno. Il a passé 16 secondes trois cent douze sur le site, le temps de se rendre compte de son erreur, puis est reparti.
Deuxième connexion, le 3 avril, à 14 heures 12. C’est vous qui vous êtes connectés, monsieur ARP.
Troisième connexion, le 12 avril, à 3h22. William Harbison, 52 ans, Atlanta, USA. Une erreur, là encore. Le sujet, sur un moteur de recherche cochon, faisait une recherche sur ‘tits’ et a été renvoyé chez nous, le moteur a été induit en erreur par le mot ‘petits’, dans un de nos articles. Incroyable mais vrai.
Quatrième connexion, le 13 avril, à 00 heure 05. Alphonse Barbier Martin, 43 ans, Paris. Critique à Télérama. Ivre mort à la vodka, il recherchait sur le web un sujet pour son prochain article. Il est arrivé chez nous, n’a rien compris, s’est demandé s’il devait en faire une chronique, s’est demandé s’il devait en dire du bien ou du mal. Puis il a vomi sur son ordinateur, déconnexion.
Cinquième connexion…
_Je vous interromps. "

L’ambiance est glaciale. Si l’Huître défaite online avait été une activité comme les autres, cela ferait longtemps qu’ARP l’aurait restructurée au lance-flammes. Mais voilà, l’Huître défaite, c’est la marotte d’ARP, sa danseuse. Rien de rationnel là-dedans, la salle entière attend patiemment qu’on passe à un autre sujet.

" Un changement d’orientation est nécessaire. Combien de millions avons-nous perdu jusque là ? 
_ Hé bien… le site est assez rustique, voire dépouillé. Pour ainsi dire, ça ne coûte rien. Quelques heures de main d’œuvre… une pizza passée en notes de frais… disons… 15 euros, à tout casser. "

La salle est atterrée.

" Hemm, bien. Pouvons nous appliquer les bonnes vieilles recettes ? "

La salle, résignée, se met à réfléchir. Première idée qui vient à l’esprit des administrateurs : du cul. Ca marche toujours bien.
Soudain, Arthur prend la parole.
" Au nom de Oyster Sex & Spam, je vous mets en garde contre la tentation de lancer l’huître online dans la filière porno. Nous risquons de nous marcher sur les pieds, je vous rappelle que l’envoi de spam et la gestion de sites XXX sont les deux mamelles siliconnées de ma filiale. "
Objection retenue. On cherche autre chose.
La violence, ça marche pas super sur le web. Le foot ? Linda, administratrice de l’Huître TV, prend la parole.
" Attention, le foot, c’est pour la TV. Si je n’ai plus le foot, adieu le marché BBB (beauf buveur de bière).
_ Oui, on a quand même de la marge de ce côté. Je vous propose d’organiser de nouveaux matchs, réservés en retransmission à l’huître online, en test pour quelques mois. "

Bertrand, responsable foot, prend note : penser à organiser, sous peu, un match amical France, euh… Kirghistan, voilà. Ca mange pas de pain. Allez, adjugé.

" Sinon, d’autres idées ?
_ Euhh… On a bien une idée à fort potentiel, mais c’est risqué. Les tests. Aller plus loin dans la cruauté, l’humiliation, le sordide. Mais on risque le rejet des spectateurs, un retour de flammes ‘moral’.
_ OK, vous avez l’aval pour les tests. Lancez-vous à 100%. La séance est levée, à dans 6 mois. "
Tout le monde se lève et sort sans lambiner : aujourd’hui, c’est repas antillais à la cantine.