L’huître t’aide à faire ta lettre
de motivation
Il est des fois dans la vie d’un homme (resp. d’une
femme), où l’on doit étaler par écrit la vulgarité
misérable de nos motivations profondes. C’est notamment le cas lors
de ces exercices pénibles que sont la lettre d’amour, ou la lettre
de motivation. C’est sur cette dernière que nous porterons notre attention
dans la suite de ce modeste didacticiel non-intéractif, la lettre
d’amour étant totalement inutile à l’huîtreux de même
qu’à ses lecteurs.
Le but de la lettre de motivation est de convaincre
votre potentiel employeur que vous voulez par dessus tout passer 35h par
semaine, assis seul devant un ordinateur dans un cubicle aseptisé,
ou debout dans une chaîne de production bruyante, c’est selon.
Bien sûr ce n’est jamais vrai.
Le plus souvent, ce qui nous pousse à chercher un emploi, c’est
surtout qu’au chômage, on s’ennuie, on est tout seul, et en plus, on
n’a pas beaucoup de sous, alors on mange n’importe quoi, et on s’ankylose,
et les autres nous regardent comme des moins que rien, et on devient de plus
en plus seul, jusqu’à ce que cela devienne insupportable, jusqu’à
ce qu’on en perde presque l’usage de la parole, jusqu’à ce qu’on se
heurte aux limites de notre santé mentale.
Et c’est souvent dans ces conditions déplorables, que des gens
prennent fébrilement la plume pour demander, en quelques phrases
griffonnées sur un papier recyclé, à un recruteur obtus,
s’ils peuvent venir, quelques heures par jour, dans leurs locaux, rencontrer
des gens, boire un peu de café industriel, partager un plat chaud
à la cantine d’entreprise, sentir cette chaleur humaine qui manque
si cruellement à leur existence.
Et c’est ce qui rend l’exercice difficile au plus honnêtes d’entre
nous.
Mais difficile n’est pas huîtreux.
Nous le savons tous (1) , nous vivons dans un monde
d’apparences, où il convient de savoir faire bonne figure pour réussir
(2).
Et ce, quelque soit les moyens, cela va de soi.
Ainsi, le recours au mensonge est d’autant plus conseillé que vous
êtes médiocre. La capacité qu’a l’humain moyen à
simuler des qualités de base est en soi une qualité importante.
Être capable de faire croire à votre interlocuteur que vous
connaissez tout de l’architecture des cathédrales gothiques du 12ième
siècle, alors que vous avez simplement visité Nôtre-Dame
une fois en colonie de vacances quand vous aviez 9 ans, peut s’avérer
une arme redoutable dans la quête de la réussite individuelle.
Une variante du mensonge, particulièrement utile
dans l’élaboration de toute bonne lettre de motivation, est celle
de « l’optimisme flatteur » :
Dans une lettre de motivation, vous êtes formidable,
et l’entreprise à laquelle vous écrivez est tout aussi formidable,
et c’est donc naturellement vôtre instinct grégaire qui vous
pousse à la rejoindre.
Une lettre de motivation comporte trois parties :
1) Je suis vraiment formidable
2) J’aime beaucoup ce que vous faîtes
3) Faisons le ensemble
1ère partie : Je suis vraiment formidable
Pour vous qui n’êtes pas vraiment formidable, deux solutions :
1) Devenir quelqu’un de formidable
2) Faire croire que vous êtes quand même vraiment formidable
La première solution est de loin la plus difficile. Un moyen rapide
serait bien sûr de tuer quelqu’un de formidable et d’usurper son identité,
mais ce n’est pas toujours évident. Le plus souvent, l’on devra beaucoup
travailler, et il y aura des hauts et des bas, mais il faudra persévérer,
seul et opiniâtre, jusqu’à ce que l’on sente que l’on en sait
assez, ce qui en pratique n’arrive jamais, car plus l’on en sait, et plus
l’on se rend compte de notre ignorance (3) . En plus il faut constamment
faire le bien autour de soi, se montrer agréable avec des gens que
l’on ne connaît pas, et dont les statistiques ne nous donnent guère
d’espoir quant à notre propension à les aimer. En bref, c’est
beaucoup de travail, et il n’est pas dit que ça paie.
C’est pour cela que l’huître vous conseille plutôt
la seconde solution, et c’est sur celle-ci que nous nous attarderons dans
la suite du présent article.
Pour faire croire que vous êtes formidable, en
particulier par écrit, rien de plus simple, il suffit de le dire.
Utilisez de jolis mots, quitte à utiliser un dictionnaire. Cherchez
vos quelques qualités, amplifiez les, inventez-en de nouvelles. Souvenez-vous
d’anecdotes marquantes de votre passé et transformez les en anecdotes
où vous avez effectivement été formidable. Faîtes
sonner tout cela comme un poème.
Car tout étriqué et haineux qu’il soit,
le recruteur est aussi une personne sensible, qui peut potentiellement être
transcendé par la beauté de votre verbe.
2ème partie : J’aime beaucoup ce que vous faîtes.
Cette partie peut s’avérer difficile. Il convient tout d’abord
de se renseigner sur les activités de la compagnie, ces résultats,
sa taille. Ensuite il faut écrire un petit résumé de
tout ça, et ajouter que, vraiment, c’est formidable.
3ième partie : Faisons-le ensemble.
Si vous avez traité correctement les deux parties précédentes,
cette partie ne doit pas poser de problèmes. Elle doit complètement
découler de ce qui précède, en être une suite
logique, implacable, irréversible.
Après cette courte introduction théorique, un petit exemple
pratique :
Gérard Bernard a 28 ans. Il a beaucoup peiné pour obtenir
un Bac poubelle à 20 ans, a essayé une Fac de socio pendant
deux ans sans succès, puis s’est tourné vers un DEUG de psycho
abandonné en cours d’année. Il a ensuite décidé
de se lancer dans une formation en alternance « opérateur de
saisie et systèmes d’informations », pendant laquelle il a
eu deux expériences professionnelles, l’une dans une banque, à
la photocopieuse, et l’autre dans une usine de métallurgie lourde,
à saisir des données de personnel sur un ordinateur.
Gérard est au chômage depuis maintenant 6 mois, et ses parents
commencent à désespérer de le voir partir. Il dort 12h
par jour, passe ses journées à bouffer des saloperies devant
la TV, et ses nuits à surfer « XXX ». Bref, il s’étiole,
végète, régresse à l’état de larve parasitaire
sociétale.
Un jour, alors que Gérard, vautré sur le sofa, se lobotomise
lentement devant un épisode de « Le Rebel », avec Lorentzo
Lavas dans le rôle du rebel qui était flic et faisait du bon
boulot avant d’être victime d’une injustice et de devoir sillonner
l’Amérique en moto, sa mère entre dans le salon comme un seul
homme ( …), éteint la TV d’un geste brusque, et claque un papier sur
la table basse, qui n’en demandait pas tant.
« Regarde, Gérard, un boulot s’est enfin libéré
dans la région. Tu vas postuler, et vite ! »
Gérard, au bord de la commotion cérébrale,
la bave s’écoulant de sa bouche béatement ouverte, lève
sur sa mère un œil hagard.
Il attrape le bout de journal et commence à lire le contenu de
l’annonce cerclée de feutre rouge.
La fromagerie Gromel recrute
!
Troisième fromagerie artisanale de la région de Grolon-sur-Motte,
la fromagerie Gromel, fromagerie à taille humaine (10 salariés),
peut se vanter d’une croissance positive, et d’un chiffre d’affaire consolidé
de 25361 Euros (anciens).
Nous recrutons un jeune motivé et travailleur pour effectuer les
tâches suivantes :
- Classement de dossiers administratifs
- Nettoyage des cuves des fromages à pâte molle
- Surveillance des machines d’étiquetage et mise en palette des
produits
- Maintenance de la machine a café
Le poste, multi-compétence s’il en est, se veut évolutif.
Possibilités de rémunération à débattre.
Si vous désirez nous rejoindre dans ce monde merveilleux qu’est
la fromagerie, veuillez envoyer un CV ainsi qu’une lettre de motivation à
l’adresse suivante…
Devant la pression maternelle, Gérard ne peut
que sortir son quatre-couleurs, son cahier de brouillon, et commencer à
écrire la motivation familiale qui le pousse à une vocation
de fromager.
Gérard Bernard
7 rue du Général Rombert
65413 Broules
tel : xx-xx-xx-xx
Monsieur, Madame,
Au chômage depuis maintenant 6 mois, et vivant
constamment entre l’exaspération de mes parents et le désespoir
solitaire de ma condition, c’est en toute humilité que je m’adresse
à vous pour tenter d’obtenir un emploi dans votre compagnie.
Comme vous avez pu le lire sur mon CV, mes études
peu brillantes au parcours chaotique on tout de même été
ponctuées de deux expériences professionnelles peu gratifiantes,
mais tout de même quelque peu instructives quant aux us et coutumes
du monde du travail qu’il me tarde tant de rejoindre.
Vôtre compagnie, au chiffre d’affaire alléchant
et à l’activité croissante, me semble tout à fait à
même à répondre à mes besoins d’argent et d’occupation.
Etant conscient de n’être plus si jeune, mais étant tout
de même disposé à travailler, je me permets donc de
postuler à votre annonce du Brouleux Libéré.
En espérant que vous puissiez m’aider à
m’en sortir, je me tiens prêt à vous rencontrer quand vous voulez
pour discuter de mon éventuelle rémunération.
Veuillez agréer, Monsieur, Madame, l’expression
de mon admiration respectueuse,
Gérard Bernard.
Madame Bernard, prenant, à la lecture de ce pathétique document,
conscience de la détresse de son nenfant devant les difficultés
de la lettre de motivation, décide rapidement de mettre son incapable
de fils en relation avec un consultant local de l’huître.
A la suite de leur conversation, Gérard, à présent
instruit des secrets de l’élaboration de cette fameuse lettre, se
remet au travail.
Le résultat, ci-dessous, est saisissant de spontanéité.
L’embauche assurée. C’est gagné.
Gérard Bernard
7 rue du Général Rombert
65413 Broules
tel : xx-xx-xx-xx
Monsieur, Madame,
Ancien élève de la faculté X de Gorlant, et diplômé
de l’institut de la Communication et des Systèmes d’Information, option
« Saisie de données », je cherche un emploi motivant dans
le milieu de la fromagerie artisanale, la seule, la vraie, l’odorante, formidable.
Ma première expérience professionnelle, à la banque
Y, m’enseigna de façon intensive, la pratique de la photocopie appliquée
aux documents industriels. Ce fut comme une révélation, comme
si le caractère éphémère de l’information avait
été transcendé par la technologie moderne, comme si
une partie de l’activité financière régionale laissait
dans nos archives comme une trace de sa présence, un témoignage
de son existence, un message aux générations futures. Une expérience
unique, bouleversante.
Ma seconde expérience professionnelle, en tant qu’Opérateur
de Saisie chez Metalourd Corp., fut tout aussi attachante. J’avais à
ma charge de saisir les données des fichiers du personnel dans un
ordinateur. Ce n’était plus simplement des fragments d’informations
qui s’intemporalisaient, mais des bribes de vie, des condensats d’individualité.
Chaque employé, quelque soit son rang dans la hiérarchie, se
voyait attribuer se petit espace virtuel avec son nom dessus. Je me sentais
participer à une sorte de grand pied de nez cosmique à notre
propre mortalité, je confrontais les dieux, et me riait du destin.
Je sentais que j’accomplissais quelque chose de signifiant, qui me dépassait,
et je ressentais une infinie gratitude à l’égard de mon employeur
de m’avoir accordé la réalisation de cette tâche si importante.
Ces deux expériences si enrichissantes me firent prendre conscience
que je suis vraiment formidable.
Vôtre entreprise, la Troisième fromagerie artisanale
de la région de Grolon-sur-Motte, la fromagerie Gromel, fromagerie
à taille humaine (10 salariés), peut se vanter d’une croissance
positive, et d’un chiffre d’affaire consolidé de 25361 Euros (anciens),
ce qui est vraiment formidable.
Moi même, j’apprécie immensément le fromage, que je
consomme en gourmet, accompagné d’un vin de saison. L’onctuosité
de la pâte, le fumet si délicat, l’exquis résultat de
vôtre art, me plongent parfois dans des transes si fortes qu’elles
en deviennent presque indicibles.
J’aime beaucoup ce que vous faîtes.
C’est pourquoi il me tarde de mettre au service de
vôtre noble institution mon dévouement profond, et mon amour
des choses bien faîtes.
Dans l’espoir de vous rencontrer bientôt, je
me tiens à vôtre entière disposition pour vous convaincre,
plus si nécessaire, de mon intense motivation.
Veuillez agréer, Monsieur, Madame, l’expression de mes sentiments
affectueux,
Gérard Bernard.
Epilogue :
C’est les yeux mouillés de larmes émues
que le recruteur de la fromagerie Gromel appela Gérard le surlendemain
pour lui proposer un entretien la semaine suivante.
Mais comment va-t-il réussir cette dure épreuve
qu’est l’entretien d’embauche ?
Vous le saurez en lisant le prochain article pédagogique
de l’huître : L’huître t’aide à réussir tes
entretiens d’embauche.
NDLR : Les plus transis d’entre vous auront noté la forte analogie
entre lettre de motivation et lettre d’amour. Remplacez la seconde partie
par « je vous aime » et la troisième par « accouplons-nous
», et « Monsieur, Madame » par « Thérèse
», et c’est torché.
(1) J’espère, sinon ce qui va suivre va fortement vous choquer.
Si c’est le cas, nos spécialistes préconisent de boire de l’alcool,
en bonne quantité.
(2) Réussir : Atteindre ses objectifs dans la vie. La réussite
individuelle ne peut être jugée que rétrospectivement.
Par exemple, Robert, 54 ans, pilier de bar au bar PMU « le relais des
postiers » à Moireaux-sur-Glouppe voulait, étant jeune,
devenir chef d’orchestre. Manifestement, il n’a pas réussi
.
(3) C’est pourquoi il convient de ne pas trop éduquer les simples
d’esprits : ils ne supporteraient pas d’entrevoir ainsi leur désert
intellectuel et mourraient de se voir si laids en ce miroir (métaphorique,
of course).
Xi