Dans la série " Que sais-je sur les mythes modernes et autres légendes urbaines ? ", aujourd’hui, le consultant.

 

Dans cette toute nouvelle série culturelle visant à investiguer des sujets tendance, mystérieux, voire trendy, l’équipe au grand complet de l’Huître Culture va aujourd’hui ratisser en long, en large, en travers, et en zigzag dans les 8 dimensions restantes, un thème tellement contemporain : le consultant. Hé oui : allumez votre télévision, ouvrez un journal, feuilletez les pages jaunes : ça consulte, ça consulte, ça consulte. Le présentateur d’un match de foot se sent tellement démuni et inculte sans son consultant, l’entreprise respectable ne peut accéder au nivâna capitalistique sans consacrer la race adéquate de prêtres : le consultant.

Entrons dans les cœur du sujet. Qu’est-ce qu’un consultant ? L’hypothèse Araméenne fait remonter le terme au vieil araméen des banlieues (XII av. JC) : ‘Kõssultaous’, ce qui signifie, à peu de choses près, ‘petite fraise des bois’. D’autres hypothèses, moins douteuses, font référence au verbe ‘consulter’, à une idée de se référer à quelque chose, quelqu’un. Et, effectivement, la caractéristique la plus visible d’un consultant est qu’on lui demande ce qu’il pense, dans le but d’en obtenir une plus-value certaine. D’ici à dire que la principale caractéristique du consultant est son intelligence hors normes, il y a un fossé que je ne franchirai pas.
Pour s’en persuader, étudions ce dialogue retrouvé par des archéologues de l’INA, première occurrence connue à ce jour du terme ‘consultant’, en 1852.

" Skroutch… skroutch… Et Dupont qui passe à Lanier, Lanier qui dribble un défenseur, deux… et c’est le but ! Le gardien ne peut rien faire contre cette frappe ! Le Football Club de Jonnieux le Point ouvre la marque dans cette finale universitaire. Un mot de notre consultant, Aimé Gicquet ?
_ Heu… Hein ? Oui ? Donc, euh… Lanier a reçu le ballon… puis il a marqué, euh… et but. "

Dans ce dialogue, que voyons-nous ? Le consultant synthétise et répète la phrase immédiatement entendue, mais ce n’est évidemment pas dans cet ânonnement que réside sa valeur ajoutée.
Hé oui, fort logiquement, la valeur du consultant réside dans le ‘euh’. Une évasivité précise, experte, maintes fois répétée dans des laboratoires secrets, et qui permet de faire croire aux faibles d’esprit que les âneries qu’ils ont lancées sont : a- exactes, et b- d’une complexité telle qu’un esprit supérieur doit s’y reprendre à plusieurs fois pour la confirmer.

Un autre exemple :

" Et la mesure prise par le gouvernement bien que séduisante, laisse sceptique les milieux autorisés quant à son financement, et à l’organisation de sa mise en place. Un commentaire de notre consultant politique, Gérard Frouche ?
_ Oui, effectivement. Si les potentialités de résultats sont bel et bien réelles, quelques points restent à éclaircir, y compris dans les mécanismes les plus internes du processus. Quid du financement ? Quid du timing ? Le gouvernement reste franchement évasif sur le sujet, il ne pourra cependant pas faire l’économie d’explications détaillées. "

L’exemple se suffit à lui-même, et, en plus, c’est beau comme du Verlaine.

Résumons donc le processus.
D’un côté, un individu A, quelque peu ignorant. Et de l’autre, un individu B, un peu moins ignorant.
On dira que, dans les cas pré-cités, ‘B est le consultant de A’, ou ‘A consulte B’.
L’assertion précédente entraîne celle-ci : ‘B est payé à un coût exorbitant par A’, ou ‘A se fait dépouiller par B’.
Puis, subséquemment, celle-ci : ‘B s’étonne que, vu le salaire de A, son action ne se soit traduite par aucun résultat concret, malgré les 8 années d’activité de A dans l’entreprise de B’ ou ‘A déploie des trésors d’inventivité pour invoquer des excuses fumeuses : conjoncture internationale, faiblesse du dollar vis à vis de l’euro, digestion difficile avec ballonnements et flatulences.’

 

 

Mais, quel que soit le mécanisme en œuvre ici, rappelons nous que le consultant reste, malgré tout, un être humain. Et ce, au contraire de l’ingénieur standard, dont les gênes mutent irrémédiablement après exposition prolongée aux rayonnements de divers équipements électroniques high tech.

Interrogeons nous sur l’enfance des ces individus. Comme le disait Sigmund Freud, dans son recueil d’articles ‘Névrose, psychose, perversion, et consulting’ :

" On a parfois jugé comme nerveuses et démonstratives d’une tendance névropathique héréditaire, des affections qui assez souvent sont étrangères au domaine de la neuropathologie, et ne dépendent pas nécessairement d’une maladie du système nerveux. Ainsi, le consulting. Malgré l’aspect spectaculaire des symptômes et autres manifestations aberrantes (port simultané de la cravate et de chemises à rayures, par exemple), nul n’a pu mettre en avant de facteur déclencheur clair.
En tout cas, l’aspect héréditaire de la transmission de cette maladie est désormais franchement exclus, grâce aux observations révolutionnaires du docteur Charcot, en 1824, et que l’on pourrait résumer ainsi :

  1. un couple de consultants n’a jamais donné naissance à un petit consultant, dans la mesure où un couple de consultant ne se reproduit pas. Excuses invoquées : pas le temps, le sexe n’est pas un maillon critique de la supply chain, mon compagnon ne répond pas à ses e mails.
  2. D’une manière générale, le concept de ‘couple de consultants’ reste à prouver. Le consultant est marié à son ordinateur portable, à son lave-vaisselle, à son livreur de pizza, mais une éventuelle relation H2H (Human to Human) reste des plus hypothétiques.

 

 

Afin de percer le mystère propre aux origines étiologiques du consulting, intéressons nous à ce cas clinique.

Le petit Steven R. nous a été amené par ses parents. Symptômes : il s’intéresse à la production ‘just in time’ de boulons de 12. Il exhorte ses parents à être plus compétitifs, et à abaisser leur point mort. Un cas des plus inquiétants. Voici la transcription d’un entretien que j’ai pu mener avec lui.

_ Bonjour mon petit.
_ Bonjour monsieur. (NDFreud :le petit Steven tend une carte de visite, qu’il a lui même réalisée à coups de feutres et ciseaux).
_ Tes parents m’ont demandé de venir te voir, parce qu’ils sont inquiets.
_ Y peuvent s’inquiéter. Leur leadership est fortement contesté, faute d’une politique claire et tournée vers l’avenir. Par ailleurs, y refusent obstinément de rémunérer mes honoraires, y vont avoir à faire avec mon service juridique. (NDFreud : le petit Steven désigne son nounours, s’agit-il du ‘service juridique’ dont il parle ?).
_ Oui, Steven. Très bien. Sinon, à l’école, ça va ? Tu as des amis ?
_ Non. La ligne hiérarchique (NDFreud : les instituteurs ?) refuse obstinément mes conseils pour obtenir un meilleur rendement. Ils ne veulent même pas entendre parler de délocalisation, alors qu’on trouve des ouvriers du même âge, et bien moins rétifs, ne serait-ce qu’en Pologne ou au Maroc. Je vous le dis, l’éducation française va mettre la clé sous la porte.

La thérapie du petit Steven a duré 16 mois, à base d’entretiens et d’hypnose régressive. Nous avons réussi à retrouver le traumatisme d’origine (un biberon avarié), et à dégager la gangue de mécanismes de transfert / défense à l’œuvre. Le petit Steven a finalement accepté d’enlever sa cravate ridicule (la bleue avec des petits mickeys), et d’en mettre une d’un meilleur goût (unie jaune clair, sur chemise gris souris, sobre et de bon goût, tendance Brad Pitt dans Ocean Eleven, quand il va chercher Clooney à la sortie de la prison).

Aujourd’hui, le petit Steven va mieux. Il ne donne plus son avis à tort et à travers, et a troqué le costume au profit d’un Friday wear plus discret, en particulier dans sa classe de CM1 (polo lacoste rouge avec le premier bouton ouvert, et un pullover bleu marine jeté sur les épaules). Seule réminiscence, Steven commente sa récente évolution par un énigmatique " C’est normal, là, je suis en intercontrat. C’est plus cool.". Affaire à suivre… "

 

 

Pour autant que le docteur Freud ait jeté les grands principes de la lutte prophylactique contre le consulting, la science a fait depuis d’importants progrès, et le mécanisme d’apparition du consultant est désormais en voie d’être cerné.

Pour expliquer schématiquement les choses, intéressons-nous aux observations suivantes : quelle que soit l’entreprise que nous considérons, il est clair que :

Comment s’effectue la transition de la phase sous-Tc à la phase sur-Tc ?
Tout simplement.
Un jour, un type passant par là se fait demander son avis sur quelque chose. Il répond, pour faire plaisir. Et puis, c’est le drame. Quelqu’un d’autre lui demande son avis. Et les choses s’enchaînent. Le malheureux, pour faire face à l’afflux de pouilleux en quête d’une réponse, s’installe dans un bureau inoccupé, rétablit l’électricité en piratant l’installation de son voisin de cubicle, et fait les poches du vestiaire pour arrondir ses fins de mois.
C’est à partir du jour où le premier consultant parvient à pirater l’ordi de la compta que la multiplication des consultants devient possible. Il suffit de créer une ligne comptable ‘consulting’, égale à 30 % du budget total. Et alors, l’entreprise se développant, les consultants prolifèrent, un peu comme les bactéries entre les dents et les gencives.

 

 

 

Après cette étude transversale et exhaustive, passons maintenant aux travaux pratiques. Notre équipe de l’Huître Culture va rencontrer un pool de consultants triés sur le volet, dans un bar littéraire parisien feutré (oui, l’Huître Culture joue à domicile, les buts des consultants compteront double).

Présentation des équipes :

L’Huître Culture :

Jean Bernard Lévy-Duhamel, essayiste politique au verbe acéré, un cœur anarchiste qui bat sous une épaisse couche de graisse centriste.
Florent Pigny, chanteur iconoclaste super-rebellé contre tout. Il se proclamerait bien ‘altermondialiste’, si seulement il comprenait les mots de plus de 4 syllabes. On ne lui enlèvera ni sa liberté de penser, ni les millions qu’il a amassé en beuglant en rythme. Un pur produit ARP Musique.
René de Morfigny, poète à écharpe estampillé ‘maudit’, dont le dernier recueil, vendu à 53 exemplaires, lui a valu plus de cent cinquante heures d’antenne TV, toutes après 23 heures et sur le câble.
Armande de Lourdagnoux , grande actrice de théâtre, tellement inoubliable dans son interprétation de Shakespeare, tellement incomparable dans sa re-création de tout Beckett, tellement inattendue dans la pub des croquettes pour chien ‘Yabon-ouaf’(faut bien boucler les fins de mois).
Gruik, un cochon auquel des californiens 100% allumés ont fait des peindre des toiles abstraites, et qui les ont vendues comme des petits pains.

Les consultants :

Kevin Jones, consultant en informatique.
Jim Clarke, consultant en gestion d’entreprise.
William Stanley, consultant en ressources humaines.
René Lardonot, consultant en divers.

 

 

La rencontre commence, chacun commande un drink : Jean Bernard une coupe de champagne, Florent un ayualca (lait de yack patagon fermenté dans des outres en cuir de yéti bio), René un picon bière, Armande une tisane au miel (pour la voix), et Gruik de l’eau.
Les consultants commandent, en vrac, Corona, Desperados, et autres Guinness.
Soudain, c’est le drame, une insulte fuse. Florent Pigny lance, haineux : " Salauds de nantis buveurs de bière chère, le peuple des fracturés sociaux aura votre peau ! ". Il agite le poing, sa gourmette en or massif cliquette.
Cette saillie fait vaguement lever les yeux des consultants, sauf l’informaticien, qui ne décolle pas de son pentium portable. Le spécialiste en ressources humaines lance le dialogue.
" Madame, messieurs, moncochon. Je me permets de m’immiscer dans cette conversation en tant que spécialiste de la dynamique collective et des relations sociales, afin que nous nous dirigeons, ensemble, vers un dialogue plus riche et plus constructif. Un échange win-win doit se mettre en place entre nous, et je vous propose de nous asseoir autour d’une table pour continuer ce passionnant dialogue transculturel. "

Un pavé fuse, brisant net le crâne du consultant. La cervelle gicle.

René, le lanceur de parpaing, hurle, véhément :
" Nous n’écouterons pas ton boniment contre-révolutionnaire, espèce de pourriture SS ! 68 n’est pas mort, son esprit court dans nos rues, et il ne manque qu’une étincelle pour que la mèche s’embrase ! Le grand soir est là, et nous le perpétuerons contre tous nos ennemis, fussent-ils CRS, policiers, ou garagistes ! "
Puis il entame une Internationale passablement éraillée, suivi de Jean Bernard, qui retrouve ses vingt ans, et de Florent, qui reprend l’air, ne connaissant pas les paroles.
Pendant ce temps, Armande s’est éclipsée, ayant reçu par SMS une proposition pour faire une pige au Kadox. Les trois consultants restants décident de changer de bar, celui-ci ne contenant pas assez de ‘shagasses’. Gruik renifle et furète un peu partout.
La chanson se termine, Jean Bernard et René évoquent, les larmes dans les yeux, leurs souvenirs de jeunesse. Florent surveille discrètement les tables du bar, pour voir s’il ne peut pas récupérer la monnaie qui traîne.

Soudain, la tension monte, d’un coup. Gruik, sensible au changement d’atmosphère, couine, et se cache sous une chaise. Hé oui, René et Jean Bernard, au détour d’une phrase, se sont découverts, pour l’un, marxiste-léniniste dur, pour l’autre, maoïste-stalinien modéré. Les deux hommes se jaugent en silence, des éclairs dans les yeux. Puis c’est le déchaînement de violence, ils se ruent l’un sur l’autre, et se mettent des petits coups de poing ridicules. Pour finalement s’effondrer à l’unisson, victimes d’une double crise cardiaque simultanée.

Quant à Florent Pigny, personne n’a eu de nouvelles de lui depuis cette soirée de sinistre mémoire. La dernière personne à l’avoir vu explique qu’il tabassait un SDF à guitare, afin de récupérer des royalties sur la reprise d’un de ses titres.

 

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Conclusion.

Le consulting n’est pas une fatalité. Il appartient à chacun d’entre nous de faire un geste pour montrer aux consultants que, non, ils ne sont pas seuls. Et l’Huître Défaite croit fermement que, petit à petit, grâce à l’action conjuguée de tous, le consulting disparaîtra pour toujours de nos existences, pour rejoindre dans la vitrine des fléaux oubliés d’autres horreurs telles que la peste , la poliomyélite, ou encore Claude Lelouch et Luc Besson.

Battons-nous.

 

Remarque : suite à ces péripéties, l’équipe de l’Huître Culture s’est vue réduite à sa plus simple expression, un cochon couineur. Après une réunion exceptionnelle de cinq secondes, le conseil d’administration d’ARP a décidé de maintenir sa confiance à Gruik, et de le nommer ‘Directeur Exécutif de la Culture Populaire ARP’. Nous avons toute confiance en toi, Gruik, tu es désormais débarrassé des incapables surpayés qui t’empêchaient de mener une politique à ta mesure, alors surprends-nous, sois grand, sois ambitieux.

Bonne chance, Gruik !

 

 

 

 

 

 

 

Meu