La rubrique ciné de l’Huître



Vous avez été nombreux à participer à notre grand jeu concours du mois dernier, et un bon nombre d’entre vous a su répondre à la question « Quel est le chiffre venant après 1 ? ». Il a été difficile de choisir parmi l’avalanche de SMS reçu au 8 – 32 – 32 (10 euros l’appel), mais finalement, maître Véreux, huissier de Justice à Trinidad & Tobago, a tiré au sort 5 gagnants, qui se sont vu remettre une place de ciné à demi-tarif (offerte gracieusement par les complexes ARP-ciné).

Nos amis ont choisi d’exprimer leur gratitude en nous faisant parvenir leurs premières impressions à la sortie de la salle, nous laissons la place aux cinéphiles…





Raoul Moreau, professeur d’histoire géo au collège Fidel Castro, Sarcelles (93)


« Je suis allé voir un petit film, de distribution modeste (1 petite salle du multiplex ARP-Chatelet, 12 places), afin d’essayer de soutenir un certain cinéma indépendant, fauché et courageux .
Le titre laissait présager le meilleur : « Groboubou l’ourson dans la forêt interdite ». J’imaginais déjà la critique sociale sans concessions, la dénonciation longtemps retenue d’une bourgeoisie arrogante, une nouvelle arche d’alliance entre le cinéma grand public et le cri de douleur longtemps inassouvi des forçats de la terre.
Quelle ne fut donc pas ma surprise de constater au générique qu’il s’agissait en fait d’un film américain sorti il y a quelques années… une reprise… Pourquoi pas finalement, il y a aussi du bon chez certains dissidents indie d’outre-atlantique. Une critique bien sentie de l’ère post-Reagan chez l’oncle Sam !

Au début, Groboubou est un petit ourson abandonné par ses parents, vivant caché dans la ferme de l’oncle Bob, la ‘Ferme du bonheur’. Le clin d’œil à la cause des sans-papiers est ici transparente : un être qui vit reclus, honni, caché au milieu de la société opulente, la société romaine prompte à qualifier de barbare tout ce qui n’est pas issu de son sein. Le début du film nous narre le quotidien de Groboubou qui tente de subsister tant bien que mal. Il chaparde de ci, de là. A un moment, dans un accès de famine, il dévore à pleine dents Alain le poulet (le parallèle avec les sans-papiers est ici, heum, moins clair. On peut plutôt évoquer la société qui avilit l’homme, Jean-Jacques Rousseau, et finalement l’ouverture de la boîte de Pandore que fut l’irruption du capitalisme dans la civilisation. Les dents incontrôlée de Groboubou sont bien le symbole d’autant de petits capitalistes, fonds de pensionnaires, et autres rentiers prompts à dépecer le corps sanglant du RMIste sacrificiel, christique).
Groboubou finit par se faire quelques amis : Clint le poussin (fils d’Alain, le ressort dramatique à venir est gros mais toujours efficace) et Zinzin le poulain. Le trio se veut cocasse et multiplie gags bon enfant et répliques légères. On remarquera tout de même que le réalisateur John Smith se révèle plus à l’aise dans la critique sociale que dans le gag classique.

Groboubou, Clint et Zinzin finissent par quitter la ferme, suite à un incendie, et décident de se mettre en route pour la forêt interdite, en vue de retrouver les parents de Groboubou. On entre ici dans un road movie assez sympathique, abordant de nouveaux thèmes, bien que toujours en pointe de la lutte des classes. On remarquera que John Smith frôle ici, sans le traiter toutefois, un de ses thèmes favoris : la tension sexuelle entre ses personnages. On sent bien que Smith instille un non-dit homosexuel entre Groboubou, Clint, et Zinzin. Il apparaît clairement que Smith a dû faire l’impasse sur cet aspect prometteur du script (contraintes financières ? cohérence de l’histoire ?) : on ne lui en tient pas rigueur, la lutte du ghetto gay et lesbien pour une reconnaissance mainstream sait bien ce qu’elle lui doit.

Après diverses péripéties, le trio fait la rencontre du bad guy typique : Gorguloff le chasseur, qui a en fait tué les parents de Groboubou. Avec l’aide des animaux de la forêt (menés par Rocco, le castor rigolo avec ses grosses dents et sa queue, un sympathique travailleur manuel qui endosse le rôle du prolétariat libéré), ils finissent par mettre à bas le tyran chasseur. Et Clint pardonne à Groboubou le meurtre de son père, faisant renouer le film avec les fils shakespeariens tragiques, un pendant greco-classique à la contestation sociale moderne.

Globalement, le film est indéniablement réussi, dense de signification et riche de niveaux de lecture. Que l’on se focalise sur l’aspect social, politique, ou plus basiquement sur la transcription de la lutte des classes, chacun y trouvera matière à réflexion. On s’interrogera simplement sur la recommandation du film aux 5-10 ans : ce long-métrage me semble un peu trop théorique pour les jeunes enfants, à moins que l’on y recherche une introduction ambitieuse au marxisme anarchiste tendance Bakounine. Dans le même genre, les amateurs pourront aller voir ‘Ma femme s’appelle Maurice (Thorez ?)’, une ode à l’extrême gauche française, et un appel sans fards à voter Laguiller. »




Notre second critique est étudiant en arts graphiques et cinéma, son nom : Bernard De Chébernard.


« J’ai choisi d’aller voir une petite production norvégienne au multiplex ARP St Denis : « Anal føking met bløndes», en version originale non sous-titrée. J’avoue avoir choisi le film au hasard dans mon Paris Boum Boum, et n’étant pas norvégeophone, je m’y rends sans a-priori.
Le film commence avec 3 héroïnes blondes, Sabrina, Anja, et Svenja, qui paressent voluptueusement dans leur salon, un après-midi. Le ton est désinvolte, les jeunes filles ne font pas grand chose, et même si les dialogues me restent obscurs, on sent bien la critique de l’oisiveté contemporaine, assez proche de Bergman, ce grand commentateur nordique du néant quotidien qui détruit les âmes. Les trois jeunes filles échangent des phrases sans conviction avec un air assez lascif : « Anja, kanst du mein tits met Mønøï massieren ? ». D’ennui, les jeunes filles en finissent par se caresser le corps avec divers objets oblongs et vibrants. On sent l’influence de Rohmer dans la contemplation un rien concupiscente des corps.
Puis, rebondissement : on sonne à la porte, c’est Hans, le facteur.
Loin du sentimentalisme à outrance, du mélo larmoyant, les phrases neutres s’enchaînent, et le rapport solide à la réalité des actions rappelle un Lelouch au sommet de son art : « Ij habe ein cølis før miss Svenja ». Dès lors, on comprend que le film s’attache plutôt à suivre les personnages dans leur quotidien, de façon détachée. Un regard clinique, dans le feu de l’action. On ne sait rien de leur passé, de leurs origines, des malheurs, peut-être indicibles, qui ont conduits ces femmes dans cette situation. Seuls les dialogues nous apportent des informations. Ainsi, quand Sabrina déshabille Hans et commence à le tripoter, elle lance, la bouche pleine : « Oh ja, Hans (slurp) ij mag dein grøss ørgan », on n’en apprendra pas plus sur elle. C’est peu, mais il n’en faut pas plus pour maintenir l’intérêt du spectateur, qui s’interroge constamment sur les pourquoi de l’intrigue. Seuls indices d’un rapport à la cinéma-lité de l’histoire, les regards, parfois lourds de sous-entendus, jetés à la caméra par les belles échevelées. Le processus de déshumanisation est aussi bouleversant. Trois femmes-objets, qui font tout ce qu’on leur dit de faire sans poser de question, avec une docilité démesurée. Comment en est-on arrivé là ? Doit-on y voir une parabole elliptique sur l’argent corrupteur ? Doit-on voir dans ce salon, lieu de luxure et de vices, la métaphore d’une civilisation décadente et troublée, dans laquelle une élite se satisfait en exploitant des esclaves ? Les décors, particulièrement quelconques, épurés, ainsi que l’action, principalement explicitement sexuelle donnent un fort sentiment d’intemporalité. Peut-être ne doit-on voir dans cette œuvre qu’un fantasme de refus à la sélection sexuelle Darwinenne, une sexualité à la fois simple et contre-nature dans laquelle la femelle perd tout besoin de sélection, et n’est que l’hôte de mâles eux même peu sélectifs et en proie à la peur de la mort, à ce besoin d’immortalité dans la reproduction ? Le film, comme les trois actrices, reste ouvert, et c’est le cerveau en bouillie que l’on sort de la projection, avec la sensation d’avoir été témoin d’une œuvre intense et profonde qui ne laisse pas indifférent. »




Troisième gagnant de notre concours, un jeune participant enthousiaste, ‘Caillera93’, de Garges les Gonnesses.


« Ouaich, alors, moi et tout mon poss, tu vois, on est descendu au multiplex de Montparnasse, tu vois, comme ça. On est allé voir un film tout pourrave, c’était français, ça s’appelait ‘Le printemps de l’amour’ de Claude Lechelou, dans le genre, tu vois, bien niqué.
Déjà, le vigile, ce pd, il pas voulu nous laisser entrer. Il croyait qu’on avait pas de ticket, tu vois, quand il a vu qu’on était invités, il était dégoûté, l’enculé. Comment on lui a niqué sa mère, trop bon. On est entré dans la salle, tu vois, tac tac, ça avait déjà commencé, y avait à l’écran un connard qui chantait sa mère, on s’est dit tatati tatata, c’est quoi ce film de tarlouze, l’enculé.
Et puis on voit qu’en fait, genre il chantait pour une meuf, alors on se marrait tous : « Ouais, la pute, elle va le croire, il va l’emmener dans sa cave, et il va la bouillave toute la nuit, l’enculé, trop bon ». Mais en fait non, même pas. Genre il chantait, il chantait genre « ouais, mon cœur, tu vois, il déborde d’amour pour toi, tu vois ». Trop abusé. Et la meuf, tu vois, elle était sapée comme Danièle Gilbert, pas de string, on voyait même pas le début de ses ‘inss. Puis, genre, y a un autre gars, il arrive, lui aussi il veut pecho la pute. Alors, ouais, on siffle, on gueule, on se dit que ça va marrave, tout ça. Et non, même pas, lui aussi il se met à chanter comme un pd. C’est quoi ce film de pd, putin ? Y a pas une caisse, y a pas une beyotch, y a pas un gun, ça ressemble à rien, tout perrave. En plus, c’est super long, il se passe rien, la meuf, elle veut pas choisir entre les deux cons. Remarque, vu leur tronche de gros nazes, elle a pas tort. Sérieux, elle a qu’à venir dans la cité avec nous, on va te la décoincer, déjà qu’elle enlève son pull over de grand-mère, faut laisser respirer les seins, hein ?
Sinon, la fin du film ? Non, putin, on est parti avant, tu crois quoi ? Rien à foutre, de la fin. Par contre, je profite d’être là pour passer la grosse cass’ded à tous mes potes du ghetto, Rachid du 3ème étage, Kamel, Kevin, DJ Chelou, tous mes potes de l’immeuble Lamartine, represents 9-3, on lache rien, et on encule tous les pd de la cité Pompidou, on vous encule tous, vous avez pas intérêts à revenir cramer des caisses sur nos parkings, bande de fils de pute, sinon on descend chez vous, ça va être bien auch pour vos culs. Enculés. »




Quatrième lauréat de notre concours, Olivier Dupont, 35 ans, dépressif chronique.


« Alors voilà, hier soir, j’étais seul avec ma télévision, et au lieu de regarder Bataille et Fontaine, j’ai plutôt choisi d’aller voir ‘Le père Noël est une ordure’, au mulitplex ARP Part Dieu. Une reprise d’un film que j’avais manqué à l’époque, plongé dans les profondeurs moelleuses de la morphine en intra veineuse, cet opium qui agrandit ce qui n’a pas de bornes, allonge l’illimité, approfondit le temps, creuse la volonté, et de plaisirs noirs et mornes remplit l’âme au-delà de sa capacité. Tout cela ne vaut pas le poison qui découle de tes yeux, Gisèle, de tes yeux verts, lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… Mes songes viennent en foule pour se désaltérer à ces gouffres amers… Euh, excusez-moi, nous parlions cinéma, et pas du départ de ma femme, dont acte.

Le film commence avec une invocation nette du destin, vision épurée du sinistre tragique. Chaque personnage tient son rôle comme un rouage de l’engrenage céleste : Félix, père Noël dégingandé, s’épuise en vain à distribuer des tracts pour le réveillon strip-tease du Pigallos. Dès son retour dans un foyer décomposé, Josette, l’unique amour de sa vie, le quitte ; la femme pour laquelle il a sacrifié vie et carrière. Oui, lui aussi, comme moi qui ai été quitté par Gisèle. Obscure coïncidence. Gisèle, ces trois années de séparation, déjà, sont passées comme un souffle lent, mais tu reviendras, j’en suis sûr, nos destins sont confondus, ce n’est qu’une passade, et puis j’ai arrêté de boire, tu sais. Et j’ai fortement réduit ma dose de Prozac. Une seule boîte par jour, douze comprimés. En fait, plutôt une boîte et demi voire deux pour ne pas laisser de boîte entamée. Mais, des fois, juste une. Ca fait comme une moyenne, tu vois.
Ah, c’est l’heure de mes 3 pilules. Excusez-moi.



Bon. En contrepoint de ce premier couple dysfonctionnel, nous découvrons Pierre et Thérèse. Eux aussi endossent le visage grimaçant d’une communication moderne échouée sur la grève, à bout de souffle. Comme toi et moi, Gisèle...
Pierre et Thérèse assurent la permanence de nuit à SOS Détresse Amitié, en ce soir sinistre de Noël. Thérèse est amoureuse de Pierre, Pierre de Thérèse. Mais ils sont tous deux empêtrés dans la laideur du quotidien, les yeux englués par les conventions factices, tous deux perdus dans le labyrinthe des illusions. Et eux, si aptes à décrocher le téléphone, sont perdus dans ce désert cacophonique, plus ils se parlent, moins ils se comprennent, et ils lancent des bouteilles à la mer pour savoir si le téléphone est bien raccroché, mais jamais person ne répond, comme entre toi et moi, Gisèle, tout est encore possible, et… c’est l’heure de mon Prozac.



Comme je le disais, le début du film expose brillamment deux couples en pleine dérive, à l’abandon. C’est alors qu’arrive un nuage de personnages secondaires, isolés, solitaires, satellites venant perturber la marche des grandes planètes. Madame Musquin, monsieur Preskovic, Katia, trois comètes fulgurantes dont l’irruption conjointe crée le chaos dans les trajectoires des 2 duos. Interaction, évolution, nouvelles directions. Les rapports de Pierre et Thérèse, de Félix et Zézette, vont muter, mûrir, se décomposer, se recomposer. Et Jean Marie Poiré, réalisateur de génie, artisan du subtil et de l’intime, filme en chabadabada ces hommes et ces femmes, comme dans une tragédie grecque, jusqu’à un final épique et implacable. Un film que je vous recommande donc, bien qu’un peu triste, pas en cas de déprime…

Mais tout cela ne vaut pas, Gisèle, le terrible prodige de ta salive qui mord, qui plonge dans l’oubli mon âme sans remords, et, charriant le vertige, la roule défaillante aux rives de la mort…



Prozac, vite

»




Notre dernier critique amateur, Laurence René, 36 ans.


« J’ai été voir ‘Destin et fatalité, sublimation du possible’, d’Andreï Tarkovski. C’était bien. »









Xi et Meu