" Où sont les femmes ? ", épisode 1

La grande série métaphysique à suspense de l’Huître Défaite.

 

Je m’appelle John P. Potter.
Je suis consultant, c’est à dire : je résous les problèmes des gens.
Mon boulot consiste en grande partie à être sûr de moi, à avoir l’air crédible.
Un bon aplomb est indispensable.
Vous ne savez pas ? Je sais.
Des chefs d’entreprise m’appellent.
" Déficitaires ? - Licenciez ".
" Problèmes d’implémentations ? Stratégies ? – Licenciez ".
" Vous êtes fatigués ? - Démissionnez. Partez en vacances, faites du surf. "
Je suis bon, je suis très bon.
On m’appelle, on me rappelle.
La plupart des managers ne pensent qu’à se déresponsabiliser face aux décisions cruciales de leurs positions.
L’effet parapluie. Responsable, pas coupable.
Je suis riche. J’ai une belle voiture, une grande maison, des costards sur mesure, une montre en or. Dans mon métier, les apparences sont fondamentales.
Je fais du sport. Je m’entretiens. Je vais dans un centre de remise en forme / cosmétique chaque samedi : Je suis beau.


D’un point de vue Darwinien, je suis parfaitement adapté à ma " niche environnementale ".

La psychologie évolutionniste prédit que je suis un mâle dominant. Un reproducteur de premier choix.
Les femmes devraient être folles de moi.
Mais il n’en est rien. Je suis célibataire. Je suis seul.
Comment est-ce possible ?
Ca n’a pas de sens.
Prenez le premier individu dans la rue, n’importe qui : je suis statistiquement parlant 30% plus beau que lui, 54% plus riche que lui, 41% plus intelligent que lui, et je parle 1.34 langues de plus que lui.
Pourtant il a 1.12 femmes de plus que moi, 1.56 enfants, et a déjà 37% de chance de divorcer dans les deux ans.
Quelque chose ne tourne pas rond, quelque chose cloche…
Je m’interroge : je n’en dors plus.
Lors d’une de mes nuits d’insomnie, il n’y a pas si longtemps je suis tombé sur texte des plus dérangeants, dans la bibliothèque du manoir familial. C’était un vieil article du Nœud-les-Mines Herald, signé David Williamson, qui remettait en cause les fondements même de la sexualité humaine.

Plus que jamais, la femme est un mystère, et il faut que je sache.

J’ai donc décidé de mener l’enquête, et de noter mes progrès au fur et à mesure.

 

 

I – Recherches pratiques.

Jour 1.

Premier coup de fil dans la Jaguar à 8h15.
" Le PDG de Troufilex vous attend. ". Qu’il attende.

8h45 : Préparation des contrats de départs en retraite anticipés.

9h : Torché. Passons aux choses sérieuses.
Lier contact avec une " femme ". Qu’est-ce que je connais comme femmes, moi ?
Voyons voir dans le carnet d’adresses… allez hop, une vieille copine.

" Allo, c’est John P., tu te souviens, la fac, tout ça… "

" Non "

" Mais si. On était ensemble. On a même fait un projet d’aide à la décision ensemble… "

" Non "

" Mais si : Je suis beau. "

" Ah. Peut-être. Admettons, tu veux quoi ? "

" Tu deviens quoi ? "

" Je bosse dans le marketing. Mais là je dois régler des problèmes familiaux. Mon père vient de se faire virer de chez Troufilex… tu te rends compte, après 20 ans de boîte, sans indemnités… "

" Tu sais une entreprise, c’est un peu comme une montgolfière … " (Gutman & Al, 1976)

" Tu es vraiment un monstre. "

" Elles disent toutes ça ! On dîne ensemble ce soir ? Je connais un ptit restau dans le coin qui… " (" The new Casanova ", 1993)

CLIC. Tuuut Tuuut Tuuut.

Zob.

Dingdelingdelingdeling : le pager: Attention : déjeuner au Ritz-Carlton avec Georges Duppleton dans 35 minutes.
Pas envie.
" Sabine, veuillez décaler mon déjeuner avec Duppleton, s’il vous plait. J’ai pas envie. Donnez l’excuse d’usage."

Bon, voyons voir, une femme…
Veronique Delatre. Ca fait un bout de temps. Hop.

" Allo Vero, C’est John P., ça va? "

" Tiens, John P. Que deviens-tu ? "

" Ca va très bien, je sais consultant, ça marche du tonnerre. Et toi ? "

" Ca va bien, je suis traductrice… on s’est installés y a pas longtemps dans un petit village au bord de la mer, mon mari est… "

CLIC.

Bon, qui est-ce qui me reste ?
Sophie Lemarc. Soit.

" Allo Sophie, c’est John P., ça va ? "

" Connais pas de John P. "

" Mais si, les leçons de Tennis, le coup droit foudroyant… "

" John P ? Me souviens d’un français… "

" Hum. Ben oui, Jean P… Jean Pierre, quoi… " (Je vous assure que j’ai changé de nom pour le boulot, à mes plus grands regrets.)

" Ah ok, j’avais entendu John… "

" Non non, alors tu deviens quoi ?"

" Je suis journaliste, et toi ? "

" Consultant. Tu es mariée ? "

" C’est pour ça que tu m’appelles ? "

" C’était juste une question comme ça… "

" Je vois. Disons pas encore. "

" Et si on mangeait ensemble ? Disons 19h30 chez moi ? "

" Ben dis donc ça a l’air d’être le désespoir… Bon, OK, pourquoi pas. En plus mon copain travaille ce soir, alors ça me sortira un peu… en tout bien tout honneur… "

" Euh… (t’en foutrai, du tout bien tout honneur, moi) alors je te donne mon adresse, c’est le, euhhh 2 rue Garcimore, à, euh, Jouy sur Yvette " (va donc trouver ça, espèce de grognasse, tu m’enverras un carte postale)

" Ok, merci, à ce soir. "

CLIC.

Bon, suivante.
Réfléchissons… elles ont toutes plus ou moins mon âge, elles doivent toutes être plus ou moins mariées. Laissons tomber l’agenda, tapons directement dans la célibataire.
Voyons voir, femme, femme, femme…
Jupe, tailleur…

" Sabine ! "

" Mr Potter… "

La secrétaire est visiblement stressée.

" Sabine, je voulais vous dire… "

" Je suis virée, c’est ça hein ?! "

" Euh… non. Je voulais vous inviter à dîner. Ce soir, 20h au Château de la Targue. "

" C’est à dire… "

" Vous pouvez disposer. Je passe vous prendre à 19h30. Au boulot, hop hop hop."





20h03, Château de la Targue, une petite table avec chandelles dans une ambiance tamisée : " Sabine, vous avez un sourire charmant. " (" Women seduction for Dummies ", 1993, chap. 2 "Subtleties of flattering", p14)

"Euh… Merci."

20h05: " Parlez moi un peu de vous, Sabine, quels sont vos projets ? " (Rodriguez & Al.," Advanced Course on Women seduction ", 1995, chap. 3 "Simulating interest", p42)

" J’ai toujours voulu aller visite l’Inde, alors en ce moment j’économise… d’un point de vue professionnel, j’envisage de faire un MBA de conduite de projets internationaux d’ici deux ans… "

"Très bien" (Bartleby & Al., " Multicriteria analysis and other decision making tools", 2001)

20h07: " … et alors Bob il le regarde et il lui fait "Prout"!!! La tête du gars !!! HAHAHA, Quel déconneur ce Bob ! " (J. Iglesias & Al. , " How to make women yours  ", 1984, chap. 3 "Humour : always a winner", p47)

20h09: "Encore un peu de Chateauneuf du Pape?" (Prezinskwy, "12 easy steps to become Don Giovani", 1999, chap. 5 "Appearances of education and good manners", p135)

" Ben alors d’accord, une goutte, hein "

20h13 : " Vos yeux sont comme des étoiles… " ("Les larmes de l’amour", collection Arlequin, p252)

" Les larmes de l’amour, hein ? "

" Mais non, pas du tout, euh… reprenez du vin. " (" Women seduction for Dummies ", 1993, chap. 7, "Make her drink more", p58)

20h18 : " Et a 13 ans, j’ai eu la varicelle… j’avais des boutons partout! " (Meunier & Al., " Obtenez d’elle ce que vous voulez ", 2003, chap. 9, " Partager ses expériences personnelles pour instaurer un climat de confiance propice ")

" Ah ? "

" Oui. Mais maintenant c’est fini tout ça. Dans ma profession, on ne peut pas tomber malade, je prend grand soin de ma santé, je fais du sport… Je m’efforce de mener une vie saine et bien organisée, je me lève aux aurores, mon emploi du temps est optimisé " (Couilloux, " Evolutionnary Psychology and Sexual Selection ", 2000, chap. 4, " Fitness indicators and female selection criteria - Health", p84)

" Pardonnez mon indiscrétion mais… vous n’êtes pas un peu seul ? "

" Non, je vois des gens… des… amis, et puis je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Comment est le poisson ? " (Balizky et Al., " Apprendre l’optimisme ", chap.2, " Cacher sa misère sociale ", p. 33)

" Très bon merci. Nan, je disais ça, c’est que vous n’avez pas l’air très heureux… "

" Mais si, reprenez du vin. "

20h45 : " Comment se fait-il qu’une jolie femme comme vous ne soit pas encore mariée? " (Rodriguez & Al.," Advanced Course on Women seduction ", 1995, chap. 4 "Creating intimacy", p61)

" J’ai eu une relation malheureuse il y a un an… depuis j’essaie de prendre du recul, je me concentre sur le boulot… "

" Je comprends… c’est toujours difficile après un échec de reprendre sur des bases saines…on m’a brisé le cœur plus d’une fois, mais je suis toujours là ! " (Lepipo, "Des vertus du charlatanisme dans le développement de sa vie sociale ", 1974, Chap.6 " Enrichir sa vie d’anecdotes intéressantes ")

21h03 : " Avec Jane, c’était le grand amour… "

" Et que s’est-il passé ? "

" Un matin elle est partie faire des courses, et… en traversant la route… "

" Mon Dieu, c’est affreux ! "

" Oui… Reprenons du vin… "

21h30 : " Ce fut un repas très plaisant, je vous raccompagne dans la Jaguar. " (Couilloux, " Evolutionnary Psychology and Sexual Selection ", 2000, chap. 4, " Fitness indicators and female selection criteria - Social status", p86)

21h45 : " Venez prendre "un dernier verre" à la maison. Je vous montrerai ma collection d’estampes japonaises, c’est à deux pas… " (" Women seduction for Dummies ", 1993, chap. 10, "Conclude", p92)

" Oh John, je ne sais pas… je devrais rentrer il faut que je me lève demain matin…il est tard… " (" Encyclopedia of women excuses ", no33b, p51)

21h55 : " Voilà, on est arrivé. "

" Merci John, J’ai vraiment passé un très bonne soirée. "

" Merci à vous Sabine. " (Rodriguez & Al.," Advanced Course on Women seduction ", 1995, chap. 12 "Getting it: complete illustrated methodology", p210)

Silence gêné de bon ton.
Eye contact.
Placement du bras sur le dossier de la jeune femme (voire figure 3f p 34).
Sourire implicite (voir schema 2b p 41)

" Sabine, je suis sous le charme. " (Phrase d’approche/conclusion no14, p47)

Approche de la bouche vers les lèvres de la jeune femme. Continuer à sourire.
Impact prévu dans 5,…, 4,…, 3, …, 2, …

Détournement de tête. " Non, John, il ne faut pas. Bonne nuit et encore merci, à demain. "

Slam.

Et merde.

Bon, selon Prezinskwy, j’ai peut être encore une chance. Elle doit faire partie de la catégorie 2  " femmes qui ne couchent pas le premier soir ". La rappellerai d’ici 3-4 jours.

D’ici là, chercher ailleurs.

Dodo.








Xi.