Le conte de Noël de L’Huître


 

Dans sa volonté œcuménique de rendre les gens heureux, l’Huître s’est décidée à concilier la tradition millénaire de Noël (sapin, neige, cadeaux, joie), et la réalité de cette célébration (dinde sèche comme un coup de trique, arbre en plastique, chanteurs confits beuglant sur TF1, vieille tante qu’on invite encore des fois que les lipides réveilloneux lui portent le coup fatal).

Bref, pour réconcilier les joyeux et les grincheux, l’Huître vous propose un magnifique conte de Noël, destiné à toute la famille (oui, même la vieille tante, dans la mesure où quelqu’un se dévouera pour lui lire le contenu de cette page, écrit dans une police indignement petite dans un but inavoué de mise à l’écart des mal-voyants).

 

 

Bernard le n’enfant et monsieur Coupe-Jambes

 

Il était une fois, dans un pays très éloigné d’ici (un pays tellement éloigné qu’on y recevait encore la 5), un petit n’enfant qui n’avait pas de chance. Il avait perdu ses parents dans un stupide accident de cafetière, et il vivait, seul et démuni, dans une fosse septique désaffectée -malheureusement pour lui, je n’ai pas dit ‘désinfectée’-. Il se nourrissait de tout et de rien (plutôt de rien), et vivotait doucement dans le cylindre gris qui lui servait de demeure.

Un beau jour (ou peut-être une nuit), alors que Bernard (oui, voilà le nom de ce sauvageon) était sorti pour se rassasier de racines pourries, un fonctionnaire européen chargé du diagnostic et de la surveillance des installations d’assainissement individuel passa par là armé d’un bulldozer, et enterra le refuge de Bernard.

C’est pas qu’il était méchant ou que ça lui faisait plaisir d’expulser un n’enfant, mais, après tout, faut bien faire son métier, et puis il ne savait même pas que quelqu’un habitait là, pensez-vous, s’il avait su, quelqu’un qui donne chaque années ses vieux vêtements au Téléthon…

Quoiqu’il en soit, quand Bernard revint le soir les bras chargés de la nourriture qu’il n’avait pas trouvée, il dut se rendre à l’évidence : il n’avait plus d’endroit où dormir. Décidément, Bernard jouait de malchance. Résigné, le petit n’enfant fit un baluchon avec les quelques affaires que le bulldozer n’avait pas enterrées (un vieux nounours miteux et deux sachets de Lipton usagés), et se décida à rejoindre le peu de famille qui lui restait : une vieille grand-tante sourde-muette qui habitait à quelques kilomètres de là. Ainsi, le petit n’enfant prit son courage à deux mains, et se décida à traverser la forêt des Pendus, cette forêt qui lui faisait pourtant tellement peur.


Malgré la pleine lune qui éclairait doucereusement la scène, la sombre forêt restait sombre. Le petit n’enfant trébuchait sans cesse sur le sentier, et seuls les arbres, frémissant tranquillement, auraient pu témoigner du courage de Bernard, se relevant toujours de ses chutes. Décidément, cette nuit de Noël était une nuit bien difficile pour le petit n’enfant (avais-je oublié de dire que c’était Noël?).

Le sentier tortuait sans fin, et Bernard était bien fatigué. La pleine lune montait sans cesse dans le ciel, comme pour mieux voir le petit n’enfant. Soudain, un bruit recouvrit la respiration tuberculeuse du nenfant.

Smouch smouch.

Comme quelqu’un qui marcherait dans de la neige.

Et, fait étrange du destin, c’était bien quelqu’un qui marchait dans la neige.

Il s’agissait d’un grand bonhomme portant un blouson en polyester, et un bas de survêtement Adidas fortement usagé. Bernard le connaissait de vue : c’était une sorte de vieux fou, que tout le monde évitait dans la région. Il faisait peur aux enfants, poil aux dents, et peur aux grands.... poil aux dents.

" Bonsoir monsieur.

_ Bonsoir, Bernard.

_ Vous me connaissez ?

_ Oui mon enfant. Je te connais... et en fait, je m’intéresse à toi et à ton dossier médical.

_ Ah oui ? "

Bernard, qui avait eu toutes les maladies à part l’eczéma, ne comprenait pas très bien. Peut-être était-ce quelqu’un du Guiness Book.

" En fait, je m’appelle William johnson, et je suis un chirurgien mondialement connu, spécialisé dans les greffes. Et en ce moment, quelle coincidence,  je cherche des jambes pour un autre petit tenfant, qui s’est fait rouler dessus par un Tupolev.

_ Oh... "

Bernard, qui sous ses dehors d’enfant boueux, était sensible, sentit les larmes venir à ses yeux. C’est que c’est triste, un n’enfant qui se fait écrabouiller par un Tupolev.

Par ailleurs, dans un éclair de lucidité, il entrevit vaguement pourquoi les autochtones appelaient le paria ‘docteur coupe-jambes’.

Celui-ci continuait à parler .

" Et, tu vois, Bernard, ce petit tenfant a fait le vœu, pour Noël, d’avoir de nouvelles jambes... Et ces jambes, ce pourraient être les tiennes. "

Bernard, toujours aussi boueux et sensible, pleura alors à chaudes larmes. C’est vrai qu’offrir à un nenfant un aussi beau cadeau, ce n’était pas donné à tout le monde. En plus, Bernard avait-il vraiment besoin de ses jambes ? Certainement moins que cet autre nenfant, qui deviendrait ainsi, grâce à lui, buteur vedette du PSG, ou ingénieur-chauffagiste à la COGIMAP.

Monsieur Coupe-Jambes continuait à parler.

" C’est pourquoi nous avons décidé de vous offrir, en échange de vos jambes, non pas 1, non pas 2, mais, hé oui, 5 magnifiques couteaux en titane estampillés ‘Maître Limm’, qui vous serviront aussi bien pour faire la cuisine que dans la vie de tous les jours : regardez, je vais couper ce tuyau en aluminium comme si c’était du beurre... "

Bernard coupa monsieur Coupe-Jambes :

" Non, monsieur Coupe-Jambes, arrêtez. C’est ce soir la nuit de Noël, et c’est bien naturel de s’entraider. Je serais un monstre si je ne voulais pas faire le bien autour de moi. Prenez mes jambes, je vous les offre. "

Monsieur Coupe-jambes rangea précipitamment ses ustensiles de cuisine, sortit une énorme hache rouillée. De toute façon, Bernard avait déjà eu le tétanos.

 

Au lever du soleil, Bernard, se traînant sur le sol, sortit enfin de la forêt des pendus. Malgré sa douleur, il était heureux : en cette nuit de Noël, il avait fait le bien autour de lui, et il comprenait enfin la valeur de donner. Pour ceux d’entre vous qui trouveraient ce happy end insuffisamment happy, je rajouterai que Bernard, quelques mètres plus loin, trouva une nouvelle fosse septique, qui, bien que moitié plus petite que l’autre, lui conviendrait parfaitement puisqu’il n’avait plus de jambes.

Merci de votre attention.

 

 

 

Sebmeu