" Où sont les femmes ? ", épisode 2

La grande série métaphysique à suspense de l’Huître Défaite.

 

Je m’appelle John P. Potter, Je suis consultant.
Je suis bon, je suis très bon, On m’appelle, on me rappelle.
Je suis riche. J’ai une belle voiture, une grande maison, des costards su mesure, une montre en or. Dans mon métier, les apparences sont fondamentales.
Je fais du sport. Je m’entretiens. Je vais dans un centre de remise en forme / cosmétique chaque samedi : Je suis beau.
Les femmes devraient être folles de moi.
Mais il n’en est rien.
Je suis célibataire. Je suis seul.
Un paradoxe des temps modernes.
Je dois comprendre. Quoiqu’il en coûte.
06h30 : Une nouvelle journée commence.
On va enfin savoir.

 

Jour 2 :

Ne pas se laisser abattre. Des femmes, en théorie, il y en a plein.
Comme cette jolie brune qui marche un peu plus loin sur le trottoir en direction des bureaux.
Cible localisée. Eye-contact. Locked on target. Interception in 5…4…3…2…1…

" Bonjour, jolie mademoiselle, je suis John P. Potter, de chez Pea & Potter Consulting. "

" Bonjour, enchantée, j’ai entendu parler de vous… Andie Mc Barthel, je travaille chez Anders & Mak, en dessous. "

" Je me disais bien que je vous avais déjà vu quelque part. Pourquoi ne pas déjeuner ensemble ce midi ? Disons 12h30 chez Flannaghan’s ? "

" Pourquoi pas, d’accord… "

" A tout à l’heure. "

Je suis fort. Très fort. Je suis John P. Potter. Je suis consultant. Je suis une success story.
Bon, au boulot.
Se conduire de façon normale avec Sabine. Distance, mais en même temps se permettre quelques fulgurances de complicité. Entretenir l’intérêt du sujet. (John Jr. O’Goodness, "  Management of personnal relationships", chap. 8, "Potential upsides", p346)

"Bonjour Sabine, vous avez bien dormi?"

" Oui, merci John. J’ai passé une très bonne soirée hier soir, merci. "

" N’en parlons plus ! Au boulot… "

Note pour plus tard : Lui dire d’éviter de m’appeler John au bureau, ça fait pas sérieux.
Et c’est parti : Eurometal 3000. Déficit, baisse d’activité… allez, on vire 20% des ouvriers, 22% des cadres, on ferme deux sites de production, on en délocalise, disons… bon allez, tout le reste… torché.
Dossier suivant.
Cinqtelecom. Problème d’implémentation de la nouvelle organisation matricielle, personnel dérouté, guerres des chefs… on vire 50% des chefs.
Suivant…

(air de la symphonie no5 de Beethoven en polyphonique 3D 32 voix : le " mobaïle ")

" Potter. "

" Allo Jean Pierre, c’est maman. "

" Jour M’man, comment ça va ? "

" Ca va bien. Tu viens déjeuner dimanche ? "

" Je sais pas, tu sais je suis occupé, je… "

" J’ai invité les voisins. "

" Ah, ben je sais pas, franchement ça va être difficile… "

" Leur fille sera là… a peu près ton âge… "

" Garde la au frais, j’y serai. 12h pétante. Bon je raccroche, j’ai du boulot. A dimanche, M’man. "

CLIC.

12h30, chez Flannaghan’s, dans une ambiance de restaurant de cadres.

" Merci d’avoir accepté mon invitation, Andie – Vous permettez que je vous appelle Andie ? "

" De rien John, ça me fait plaisir. "

" Andie, Vous avez un sourire charmant. "

" Merci "

" Parlez moi un peu de vous, Andie, quels sont vos projets ? "

" Eh bien, je suis consultante chez Anders & Mak depuis maintenant quatre ans et je songe à aller voir ailleurs. J’ai l’impression de m’enfermer dans un domaine de compétence trop ciblé… j’ai déjà postulé chez Son & Donalds, et je pensais aussi postuler chez Pea & Potter, d’ailleurs j’ai avec moi mon CV et une lettre de motivation… "

Oula, recentrer le débat, là.

" Euh… ah. Oui, bien sûr, je vais voir ce que je peux faire…  Vous avez de beaux yeux, vous savez And…".

" Oui et regardez, j’ai de multiples compétences. Et je parle 3 langues, c’est écrit là… et… "

" Oui, je verrai ça… Prendrez-vous un apéritif ? Un cocktail ?"

" Mais regardez maintenant… vous êtes bien partner de la boîte, Potter, c’est vous, non ? "

" Euh… oui, mais j’ai des euh… des associés, je ne m’occupe pas de euh… Andie, allons, détendons-nous ! C’est la pause, regardez, ils ont une terrine de la mer aux petits légumes qui… "

" Allez, s’il vous plait… " (Sourire enjôleur.)

" Bon d’accord "

CV de base comme on en reçoit quinze par jour. Dois-je vraiment mémoriser le numéro de téléphone ?
Mais quand même, elle est jolie…

" Pas mal votre CV. "

" Seulement pas mal ? "

Je rêve ou elle me fait du pied ?

" Euh… plutôt bien. "

Grand sourire.

" Bon passez voir Monsieur Smith, le recruteur, de ma part, Mardi prochain… Vous avez fait votre choix ? Parlons de choses plus légères, qu’aimez-vous faire dans la vie ?"

" Merci ! Bon, il faut que j’y aille, j’ai euh… le coiffeur qui m’attend, là, j’ai un entret… un rendez-vous important cette après midi. Bonne journée ! "

Et merde.
Et puis j’ai plus envie de ce restau, allez un sandwich et au boulot.
Dix minutes plus tard, chez Leners Sandwich.
Mignonne la caissière. Tatiana, que c’est écrit sur le badge. C’est parti.

" Tatiana (vous permettez que je vous appelle Tatiana ?), que pouvez vous me recommander comme bon sandwich ? "

" Eh bien le curry est pas mal… "

" Vous m’avez convaincu. Votre sourire est charmant. Je le prend (le sandwich ! Je vous laisse votre ravissant sourire, hahaha), ainsi qu’une bouteille d’eau minérale. Il faut garder la forme ! "

" Euh… hihi… je vous donne ça tout de suite… "

" Merci Tatiana. "

" Alors ça fera 4.80, s’il vous plait. "

" Tenez gardez la monnaie. "

" Merci beaucoup ! "

" Je peux vous demander votre petit numéro, Tatiana ? "

" Moi, c’est le 9 "

" Non mais sérieusement ? Nous pourrions dîner… "

" Hihi..Je ne sais pas… revenez me voir demain, on verra à ce moment là ! "

Salope. Comme si je bouffais des saloperies de sandwich tous les jours.

Tantantantan.

" Potter "

" Allo Potter ? Ici Bill Porter de Microprograms. "

" Que puis-je faire pour vous ? "

" J’ai restructuré mon entreprise, là… comme vous m’avez dit… "

" Très bien. Ca marche ? "

" Oui, beaucoup mieux, mais… "

" Mais… "

" Mais je ne sais plus où j’en suis… j’ai même reçu des menaces de mort… "

" Miam.Ah bon. Glurp. "

Moyen le sandwich.

" J’ai des problèmes de conscience, vous savez… "

" Scronch scronch. "

" Tous ces gens licenciés… avec des misères d’indemnités…. "

" Gloup. Vous leur avez laissé des indemnités quand même ? C’est vous qui voyez, c’est vôtre boite, hein. "

" Potter que puis-je faire ? "

" Prenez des vacances, allez au Bahamas, faîtes-vous une cure de gestes démentiels d’une semaine. "

" … Pourquoi pas… mais ma femme… "

" Ah vous voulez partir en famille ? Mauvaise idée, vous vous amuserez beaucoup moins. Les danseuses vous seront moins disponibles. Trouvez une excuse. "

" Vous voudriez que je trompe ma femme ? "

" En fait ce serait mieux que vous vous sépariez… vous ne pouvez pas vous partager indéfiniment entre europrograms et elle… "

" C’est microprograms… "

Oula, jolie rousse à bâbord… " Bon, il faut que je raccroche, Bill, A bientôt ! "

CLIC.

" Mademoiselle, Mes Hommages, John P. Potter, pour vous servir. "

" Angelica York "

" Angelica, vous avez un sourire charmant, il faut absolument que nous fassions connaissances. Allons boire un verre ce soir, 19h au Latino café, si vous le voulez bien… "

" Laissez moi réfléchir… Non. Bonne soirée. "

Salope.
Le sujet semble insondable… mais comment ils font, les gens ?
19h45, fin anticipée d’une journée de travail maussade.
Journée de daube, vais prendre un remontant.

20h au pub du coin.

" Paul, une Tourtel ! "

" Tu fais chier John, ça fait la cinquantième fois que tu la sors celle-là ! "

" Ouais, ça va, on peut rigoler… "

" Mauvaise journée, hein… "

" Quelques problèmes de relationnels, c’est rien, sers moi un double whisky, s’te plait. "

Tiens, une jolie blonde seule à l’autre bout du comptoir. Y a pas moyen d’être tranquille cinq minutes… bon, je finis mon verre et je retourne " travailler ".

" gloup gloup "

Un tour au toilette, un ptit coup de menthe dans le gosier, vérification rapide des dents, des cheveux, des ongles, des plis du costume. Putain qu’est-ce qu’il faut pas faire… je commence à en avoir plein le cul de ce petit jeu de merde… bon allez on se ressaisit, on sourit, on y va, Allez, je tente le sobre.

" Bonsoir Mademoiselle. Je me présente, John P. Potter, pour vous servir. Puis-je me permettre de vous offrir un verre ? "

" Bonsoir, moi c’est Cynthia. Volontiers. "

" Paul, deux pina coladas, s’il te plait. "

" C’est mon cocktail préféré ! Comment avez-vous su ?? "

" Il faut croire que je l’ai lu dans vos yeux, que vous avez d’ailleurs ravissants… " (Rodriguez & Al.," Advanced Course on Women seduction ", 1995, Annexe 1, "Top 10 most popular drinks for females", p382)

"Comme vous êtes charmeur!"

" Ce n’est que justice, vous êtes sublime. Alors dîtes moi tout, qu’est-ce qu’une jolie femme telle que vous vient faire en ce lieu ? "

Motivé, motivé, on en veut pour gagner.

"  Je viens boire un verre… j’ai… on s’est… séparés, avec mon fiancé… "

Et voilà-t-il pas qu’elle se met à pleurer. C’est pas gagné…
Allez on s’accroche, on y croit, on se bat. Qu’on en finisse.

" Allons, un joli minois comme ça, faut pas pleurer… allons nous asseoir à une table. "

20h30

" J’en reviens pas qu’il m’ait trompé avec Elsa ! Ma meilleure amie ! "

21h15, 2 double scotch plus tard

" Je le revois encore " Mais je te jure qu’il n’y a rien ma chérie ! ", t’en foutrais, oui ! Et l’autre qui se rhabillait " discrètement " dans MA chambre, ah non ! "

22h20

" Mais vous savez, ça a pas toujours été comme ça avec Brice… Au début on s’aimait… "

23h10

" Et on avait fait l’amour toute la nuit sur une petite plage, au clair de lune… c’était romantique, c’était beau… et il m’avait dit qu’il m’aimaaaaiiiiit… snirf snirf bouhouhouhouhou… "

23h50

Le patron sonne la cloche, ça va fermer.

" Allons Cynthia, faut pas rester là. Venez, je vous raccompagne dans la jaguar décapotable. "

" Oh John, comme vous êtes gentil. Vous au moins, vous n’êtes pas comme lui. "

Effectivement, je ne dis pas aux femmes que je les aime sur une plage au clair de lune après une nuit d’ébats fougueux et ensablés.

" Ben non alors. "

00h30, devant le domicile de Cynthia, impact lévreux dans 5…4…3…

" Oh, John, vous êtes un type bien, vraiment. J’aimerais que nous en restions là… Je ne suis pas prête pour…. Blablablabla "

1h10

Salope.

" Bonne nuit, John, appelez-moi "

" Bonne nuit Julia. "

" Cynthia… "

" Ouais. Voilà, A+ "

C’est sans espoir.
Bon, réfléchissons bien… revenons aux fondamentaux : L’offre et la demande.
Ce que je veux : arriver rapidement à un degré d’intimité tel que je puisse déshabiller une fille et la tripoter un minimum pour m’assurer que c’est du vrai. Du rapide, vite vu, vite rassuré ( ?).
Or que nous dit Van Berg, dans " Femina ex libris " (1768) ?
La durée de la phase d’approche doit être proportionnelle à celle de la relation espérée.
Ben oui, je me suis fourvoyé… J’y suis allé trop romantique… à ce rythme là, j’y suis encore dans trois plombes, et après, en cas de succès, va donc te débarrasser de la dame…
Non, il faut que j’y aille brutal, viril. Les femmes aiment les brutasses (Lambert, " De cujus vellus ", 1564). Des couilles, que diable !

 

 

A suivre…

 

 

Xi.