L’Huître de Pâques : c’est du chocolat, une surprise, ET une friandise !

 

Building ARP, salle des réceptions. 20 heures 12.

La réception donnée par le high executive management de la holding ARP en faveur de ses top dogs bat son plein. Les petits fours sont ingérés à une vitesse logarithmique qui ne se verra décroître que lorsque seuls resteront en piste les impopulaires crudités, carottes et tomates cerises, céleri, mini choux-fleurs.

Une musique légère flotte dans l’air, les drinks s’enchaînent, les cravates se desserrent, et les hommes, empourprés, parlent un peu plus fort, en postillonnant au visage de femmes banquières lisses et dangereuses.

La musique est coupée, on tapote sur un micro, c’est Antoine René de la Pourtoulerie qui va prendre la parole. Les conversations s’éteignent.

" Hum, hum. (larsen) un deux, un deux (larsen, écho). Hé bien, bonsoir à vous. Je me réjouis de vous voir aussi nombreux à cette soirée de Pâques. Quoi que… en voyant ce soir réunie la crème du management d’ARP, je me demande… qui fait tourner la boîte ce soir si nous sommes tous là ? "

Rires polis et mondains.

" Ha ha ha. Mais, plus sérieusement. Je suis heureux de vous voir, ici, et ce soir, nombreux et unis. Pour moi, la condition première d’un management de qualité est un travail d’équipe sans failles, mené dans la bonne humeur, et pourquoi pas, l’amitié. Je vous souhaite donc de joyeuses Pâques, et je profite aussi de l’occasion pour faire le point sur la situation de notre société en cette soirée… rassurez-vous, cela ne me prendra que quelques minutes, puis je vous rendrai à vos conjoints…
Ce mois de mars a vu, pour notre groupe, l’aboutissement de magnifiques réussites. +63 % pour notre branche télécom, +212% pour nos ventes d’armes… "

C’est à ce moment que, dans un grand fracas, les portes de la salle s’ouvrent, et qu’un type genre ‘stagiaire’ fend la foule en courant. Il se dirige droit vers ARP, en lui tendant à bout de bras un téléphone portable. Le silence se fait catastrophé.
ARP saisit le portable, avec un air savamment neutre. Ne pas affoler le management exécutif, règle numéro 1.

" Allô ?
_ Allô, ARP ? C’est Hansen, de la direction générale. Vous pouvez parler ?
_ Ouiiiii ? Je suis en plein milieu de mon speech pour la Party de Pâques, peut-être que cela peut attendre ?
_ Non, urgence absolue. Schmidt, le directeur financier général, vient d’être retrouvé assassiné à son domicile. Certainement un coup de Petrov. Pourtant, cet enculé de russkof avait toutes les garanties pour la dernière traite de trois milliards, fait chier. En plus, pour couronner le tout, ses sbires ont chopé Schmidt en pleine séance SM sur internet. Résultat, ils ont cru amusant de mettre le paquet là-dessus : les flics ont retrouvé Schmidt avec les parties coupées, dans sa combinaison rose bonbon, avec torture à l’électricité et tout le toutim. Et je ne vous dis même pas ce qu’ils ont fait à son chien.
_ Ah ? C’est, euh, ennuyeux.
_ Oui, plutôt, oui. Et, apparemment, les livres comptables ‘bis’ ont disparu. Schmidt a dû les planquer en ‘lieu sûr’, et maintenant, impossible de les retrouver. Et si on ne les retrouve pas, impossible de solder la dernière traite de Petrov, les comptes blancs vont arriver à terme sans qu’on puisse les valoriser. Et le circuit du plutonium pour l’Ouzbekistan va se retrouver à sec de liquidités. Le Proche-Orient va apprécier modérément.
_ Ah oui, d’accord, très bien. Que proposez-vous, alors ?
_ Il faut agir, vite. La police est dans tous ses états, le latex lui fait toujours cet effet. On oriente fissa l’enquête vers un truc privé, n’importe quoi. On file un chèque en blanc à la première pute venue pour qu’elle avoue le crime rapido. Ensuite, on dégonfle l’affaire à la maison, histoire de ne pas mettre le feu. Je vous laisse faire. Et puis on retrouve ces putins de livres comptables.
_ Oui… très bien, on fait comme ça, hein. Voilà, à bientôt cher ami. On déjeune ensemble demain pour approfondir tout ça. "

ARP raccroche le portable, et prend une respiration pour faire le point. Avoir l’air serein. Très serein. Rien de catastrophique ne vient de se dérouler. Tout va bien. Préparer tout le monde aux unes des journaux de demain. Etre inventif et efficace. Le pouls monte à 230. Avoir l’air serein, bordel, bordel, bordel de merde de bordel de chiotte. Trouver une explication.

" Voilà, chers amis, excusez-moi pour cette interruption, une affaire privée sans importance. "

La salle ne réagit pas, glaciale. Trouver quelque chose.

" Où en étais-je ? Oui, je parlais chiffres… toujours les chiffres, comme c’est ennuyeux. Oublions tout cela, et venons-en aux vraies raisons pour lesquelles nous sommes réunis ce soir.
La fête chrétienne de Pâques. Un fondement de notre culture. Et j’aimerais vous retracer, en quelques mots, l’origine de cette fête. Pâques est la célébration de la mort de Jésus, puis de son retour. Les apôtres, la Cène, Ponce Pilate, le Golgotha, la crucifixion, le retour sous trois jours, tout ça, je ne reprends pas, c’est su. Mais voilà, c’est la version expurgée, à la Walt Disney, celle pour les enfants. "

Silence ahuri.

" Nous le savons tous, la vie ne ressemble pas à ça. Et fort étrangement, la vraie vie de Jésus nous semblerait familière, chez nous à ARP. Ecoutez plutôt.
Jésus et douze de ses amis avaient monté une petite PME bien sympathique, la Catholic Corp, dirons-nous. Et cette société avait prospéré sur la base de quelques coups d’éclats : la multiplication des pains (en rallongeant la farine au plâtre de maçonnerie), les guérisons miraculeuses (grâce à divers élixirs vendus par correspondance). Et Jésus, doué en affaires, gérait son affaire en bon père de famille.
Mais voilà, Jésus était un homme en avance sur son temps. Et ce, dans tous les domaines. Lui et sa femme, Marie-Madeleine, vivaient une sexualité des plus libérées, du moins pour l’époque, et cela faisait jaser dans le voisinage. Il faut dire que les coups de fouet et autres séances animalières, c’était du jamais vu à Nazareth.
Un jour vinrent finalement trois hommes de l’est : Igor, Boris, et Balthazar. Ils avaient amené divers présents : Igor sa batte de base-ball, Boris sa corde de piano, et Balthazar sa paire de tenailles. Ils menacèrent de faire chanter Jésus sur ses mœurs libérées, à moins qu’il ne rémunère grassement leur silence. Ils tabassèrent Jésus, encore et encore, à coup d’instruments les plus variés, oui, mais voilà : Jésus aimait beaucoup ça. Les trois Russes, penauds, s’en repartirent donc bredouilles.
Jésus, pour fêter cette victoire sur l’obscurantisme, appela donc sa femme, et enfila sa combinaison en cuir de chameau. Bien que l’inverse eut pu très bien marcher.
S’ensuivit une séance des plus torrides, à la fin de laquelle Jésus finit malencontreusement cloué sur une croix. L’accident bête dans le monde du SM. 

Trois jours plus tard, Jésus ne revint pas (ne me dites pas que vous y aviez cru…), mais on se rendit compte qu’on avait perdu son journal intime, raison pour laquelle quelques uns de ses collègues les plus dévoués se décidèrent à en écrire une nouvelle version, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de ‘La Bible’. Quel best-seller !

Voilà mes amis, quelles leçons tirer de cette histoire édifiante ?

Premièrement, et bien qu’on pourrait le penser, la mort de Jésus n’est nullement liée à l’intervention des Russes, qui est extrêmement périphérique à cette histoire.

Deuxièmement, la mort de Jésus est une affaire de mœurs. Je vous en donne ma parole. Par ailleurs, il ne faut pas juger autrui sur ses pratiques sexuelles. Le cuir et le latex sont deux matières naturelles, donc éminemment respectables.

Troisièmement, la Catholic Corp a-t-elle pâti de l’affaire Jésus ? Non, évidemment. J’irai même jusqu’à dire que grâce à un management efficace, et à un repositionnement judicieux, la Catholic Corp a fait de cette histoire un fond de commerce stable et rentable. Ayons donc confiance en l’avenir !

Dernièrement, les livres sont des objets très importants, et il ne faudrait jamais les perdre. J’ai moi-même perdu plusieurs petits livrets pleins de chiffres, qui contenaient, hum, mes scores de golf. Depuis 20 ans. J’y tiens beaucoup, et malgré leur aspect insignifiant, je souhaite les retrouver. Voilà pourquoi, si jamais vous tombez dessus par hasard, dans une armoire, un coffre-fort, dans la consigne d’une gare ou sous votre plancher, n’hésitez pas à me contacter, à toute heure du jour ou de la nuit, j’offre une récompense de 2.5 millions de dollars à qui mettra la main sur ces carnets d’une grande valeur sentimentale.

Voilà tout pour ce soir ! Et joyeuses Pâques mes amis ! "




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