'Manuella', le soap opéra de l'Huître




(A l'issue du premier acte, nous avions laissé Manuella, princesse moustachue et célibataire, à l'embonpoint certain, toute à la joie des retrouvailles avec son père, le roi Paolo. Celui-ci, exaspéré par les jérémiades de son hystérique progéniture, s'était résolu à se mettre en quête d'un prince suffisamment arrivisite pour accepter d'épouser Manuella.
A la fin du premier acte, Paolo est de retour, accompagné d'une ribambelle de princes permanentés, au sourire faux et artificiel.)





Acte II – scène 1.


Lever de rideau sur un restaurant.
A une table sont assis Manuella (désormais rasée de près), et un des hommes ramenés par son père. Manollo porte un costume seventies, avec col pelle à tarte et poils torsaux apparents.
L'orchestre joue un air pseudo-mexicain, avec quelques guitares classiques et  trompettes, aidé en cela par d'authentiques marriachis.

Sur ce fond musical léger, Manollo explique qu'il est heureux d'être ici, qu'il est impatient de mieux connaître Manuella. Celle-ci, pendant ce temps, commande des burritos et deux cocas. Manollo raconte qu'il est lui aussi prince, que son royaume se trouve dans les montagnes, qu’elle aimerait tant les versants boisés de son pays, qu'ils feraient ensemble de belles ballades. Les burritos arrivent. Ils se servent.
Manollo continue entre deux bouchées: « Pas mauvais! Chez nous on mange plutôt des fondues et des trucs au fromage! »
Des postillons à la viande volent de ci de là, alors que le premier trompettiste se lance dans un solo improvisé.
L'élan musical de l'orchestre motive Manollo, qui se lève et chante:
« Manuella vous êtes beeeellllllllleeeeeeuuuu,
Epousez-moi je vous en prrrrriiiiiieeeeeeeuuuu,
Ensemble nous vivrons heureeeeeeeuuuuuux,
Cronch-cronch-miam-gloupseeeeeeeuuuuuuuuu »
(Le dernier vers, déclamé la bouche pleine, est incompréhensible.)
Les autres clients du restaurant se retournent, amusés, certains applaudissent.
Manuella le coupe d'un sllluuuuurppp (elle a manifestement fini son coca, et continue d'aspirer dans sa paille).
« Manollo, oh Manolloooooooooooo,
Comme vous y allllleeeeeeeeeeeez,
Manollo, oh Manolloooooooooooo,
Je vous rappelleraaaaaaaaaaaaaai. »

L'orchestre conclut son morceau mexicain comme il peut, le sombrero du trompettiste lui étant tombé sur le nez, n'est-ce pas, ce n'est pas commode.
Un rot caverneux interrompt le ‘aaaaiiiiii’ de Manuella, et un coup de cymbale clôt la rencontre de nos deux potentiels tourtereaux.

Baisser de rideau. Applaudissements. Les mariachis montent sur scène, saluent le public et se retirent.



Scène 2

Lever de rideau sur une salle à manger du château.
Au centre, une longue table aux extrémités de laquelle se trouvent Manuella et un nouveau prétendant, Rodriguo, qui porte le smoking avec décontraction, le cheveu fortement gominé.
Dans un coin de la pièce, un pianiste à la chevelure choucroutesque claydermanise, assisté de quelques violonistes. Des serviteurs apportent des langoustes. Nos deux jeunes gens entreprennent de les dépiauter.

Rodrigo chante qu'il est content d'être ici, que le lieu le met d'humeur romantique. Il chante que par la fenêtre de la salle à manger, l'on aperçoit une lune pleine, argentée, et que la nuit est si belle.
De son côté de la table, Manuella s'acharne sur sa langouste avec un gros maillet (poc, poc, poc). Ayant fini ses préliminaires, Rodriguo s'attaque aussi à la langouste (poc, poc, poc).
S'en suivent cinq minutes de musique d'ambiance romantico-gluante entrecoupée par les maillets de nos deux mangeurs (poc, poc, poc).

Le public s'impatiente, des sifflets retentissent. Rodriguo reprend, essayant en même temps de casser une pince avec une sorte de gros casse-noix. Il chante que le repas est délicieux, qu'il est lui même prince d'un royaume côtier, et que Manuella s'y plairait. Elle lève son verre et boit à ça (slurp, poc, poc).
Il continue, d'une voix tremblante et saccadée par l'effort, chantant qu'elle devrait se joindre à lui, ils feraient des promenades sur la plage (hummmmpfff), des sorties en (hhuuuuummppppfff) ba...TEAU (un gros craquement se fait entendre un gros bout de pince traverse la pièce et vient se loger dans l’impressionnante chevelure du pianiste, qui continue comme si de rien n'était). Manuella se lève, et répond à son hôte:
« Rodriguo, oh  Rodriguoooooooooo!
Je suis fort tentééééééééééeeeeee!
Rodriguo, oh Rodriguoooooooooo!
Je vous rappéleraaaaaaaaaaaaaai! »

Le pianiste ne semble pas avoir compris que la scène est finie. Les violonistes se retirent et le rideau tombe. Un gros bruit se fait entendre derrière le rideau (poc, poc, poc), et le piano s'arrête brusquement.

Applaudissements.



Scène 3

Lever de rideau sur un Jacuzzi, en extérieur, dans un jardin fort bien entretenu. Une bande sonore passe en boucle des coassements de grenouilles, et des craquètements de grillons. Le ciel est parsemé d'étoiles brillantes, et la lune est anormalement grosse, un peu comme Manuella.
Les musiciens entament un jazz feutré.
Manuella, en maillot de bain rose, est rejointe par Steven, qui porte un moule burnes marron. Comme les deux jeunes hommes précédents, il porte la moustache, mais sa chevelure est fort épaisse, peu naturelle.
Lui aussi chante qu'il est heureux d'être ici, que l'eau est bonne, et que la nuit est belle. Manuella, toute ouïe, fait des clapotis. Deux serveurs amènent des bières, des cacahouètes, et quelques amuses gueules. Manuella et Steven trinquent, et boivent un coup. C'est avec une moustache moussue que Steven chante qu'il est prince d'un royaume forestier, qu'elle s'y plairait. Qu'ils pourraient se baigner dans les ruisseaux et autres étangs, au clair de lune. Manuella mange des cahouettes. Elle en fait tomber un bon paquet dans le Jacuzzi. Steven, visiblement en manque d'inspiration, se gave de petits canapés.
Un blanc s'installe dans la conversation, qui devient pesant. Le public s'impatiente. Quelqu'un jette une laitue, qui tombe dans le Jacuzzi, suivie de quelques tomates. Steven aperçoit au troisième rang un vieux monsieur sortir une boîte d’œufs. Il se lève et reprend:
“Oh Manuellllllaaaaaa....”
Le vieil homme, visiblement satisfait, range son artillerie.
Steven tient le aaaaa  aussi longtemps que possible, réfléchissant aux vers suivants.
« Vous êtes si beeeeeellllllleeeeeeuuuuuu!
Il me semble que déjà je vous aimeeeeeeeuuuuuu!
Rejoignez-moi dans mon chateeeeaauuuuuu!
Et ensemble nous serons deeeeeuuuuux!! »
Mouais... les musiciens ne semblent pas convaincus.
Manuella semble fort concentrée. Puis une grosse bulle émerge au centre du bassin. Manuella rit.
Steven se lève, et finit sa pinte de bière. (encore 15 bonnes secondes de silence). Il regarde anxieusement le public, qui l'attend au tournant. Puis fait un signe à l'orchestre, et le rythme s'accélère, tendant vers une sorte de rythm & blues. Manifestement inspiré, il se met à danser autour du bassin, chantant que l'amour c'est la vie, yeah! l'amour c'est super, Waouh! Alors Manuella, écoute moi!!! (repris en canon par les musiciens), Viens avec moi et on s'aimera! (de même). Il danse encore un moment alors que les ténors reprennent “Manuella on s'aimera”, et les barytons “Manuella viens avec moi” à contre-temps, et que les basses rythment simplement de “Oummmm Wouap Wouap... Oummm Wouap Chou-Wouap...”. Le public se met à claquer des doigts, Manuella sourit, Steven se rattrape bien.
Manuella finit sa poignée de chips (dont les miettes rejoignent l’espèce de soupe qu'est devenue l'eau du jacuzzi), et faisant un signe à l'orchestre, qui reprend un jazz plus classique, se lève:
“Steve, Oh Steeeeeeeeveeeeeeuuuuu!
Tout ça me plairaaaaaaaaaaiiiiit!
Steve, Oh Steeeeeeeeveeeeeeuuuuu!
Je vous rappelleraaaaaaaaaaaaaai!”

Baisser de rideau. Derrière le rideau on entend encore quelques coassements, puis quelques coups comme de marteau, puis plus rien.

Un personnage vêtu de noir, au long cheveux noirs, s'avance jusqu'au centre de la scène. Il se retourne d'un coup pour faire face au public. Il reste coi quelques secondes et commence un oratorio:
“Vous avez vu les prétendaaaaaaaants,
Choisis par Manuellaaaaaaaaa,
Il ne doit en rester qu'unnnnnnn,
Lequel seraaaaaaaaaaaaaa-ce?”
Et pointant un doigt accusateur vers le public:
“C'est à toi de choisiiiiiiiiiiiiireeeeeeeeuuuuu!
Envoie vite un sms à ce numérooooooooooo!
(Il brandit une pancarte: 0805 76 89 +01 pour Manollo, +02 pour Rodriguo, +03 pour Steve)
Aaaaiiiiiideeeuuuu Manuella dans son chooiiiiiiiix!
Lequel d'entre eeeeuuux est-ce que ce seraaaaaaaaaaaaaa!!!!???”
(alors qu'il tient le dernier vers, Manollo, tout chemise ouverte, et grosses lunettes de soleil (très “mafia colombienne”, vraiment), puis Rodriguo, très latin lover, à la moustache fine et au cheveu gominé, et enfin Steven, cette fois-ci en tongs et en peignoir, toujours étrangement moumoutté, défilent en silence sur la scène.).
Le public sort son portable et se met à tapoter frénétiquement.




A suivre.



Xi.