Bernard le N’enfant sur la route du Cassoulet Sacré – Episode 5.
- où l'on visite l'espace et le temps pour les beaux yeux d'un galet -
Bernard le N’enfant, assis dans la boue, avait donc saisi un joli petit caillou.
Et le joli petit caillou avait rugi :
« QUI ME DERANGE, MOI LE DIEU SANS NOM, PETIT CAILLOU PERE DE TOUTES CHOSES, MAITRE PARMI SES SEMBLABLES, ET COMTEMPLATEUR ULTIME DE L’ORDRE DU MONDE ? »
Il avait rugi sur un
mode majestueux et péremptoire que lui autorisait son statut
de divinité première.
Non pas que,
d’habitude, le petit caillou soit un dieu particulièrement
acariâtre, mais il faut bien admettre que les trente dernières
minutes lui avaient été particulièrement
pénibles à vivre.
Jugeons plutôt.
Pour resituer les choses, rappelons que le petit caillou divin avait commencé sa carrière en tant qu’énorme entité mystérieusement sphérique, perdue dans le néant originel.
Un jour, par désœuvrement peut-être, le petit caillou s’était décidé à créer quelque chose, une sorte d’univers, sans prétention. Dans une telle situation, d’autres se seraient contentés de repeindre leur plafond, ou de commencer une collection de timbres. Mais encore eut-il fallu pour cela qu’on créasse préalablement les plafonds et les timbres. On n’en sortait pas.
Ainsi, le petit caillou
tout puissant se mit au travail. Il délimita un bout
d’espace-temps à peu près compact pour son
univers (pas trop encombrant non plus pour qu’il puisse
aisément le ranger à la fin de l'expérience).
Puis, pour le remplir,
il imagina des petits machins qui seraient à la fois ondes et
corpuscules, de dimension un peu fractale. Assez rigolos.
Il s’amusa pendant l’équivalent de quelques millions d’années à envoyer ces machins se fracasser les uns contre les autres, histoire de voir ce qui en sortait: le résultat en était fort intéressant.
Puis, histoire de compliquer un poil les choses, il décida d’entasser quelques uns de ces machins, et leur adjoindre un petit bouzin qui orbiterait autour du tas, histoire de lui assurer une certaine stabilité.
C’était une idée diablement ingénieuse, que l’on baptiserait par la suite assez pompeusement ’atome d’hydrogène’. Pourquoi pas. Toujours est-il que tous ces petits atomes dans cet univers, voilà une idée qui plaisait énormément au petit caillou, qui, du coup, faillit en rester là.
Le petit caillou sacré avait donc posé son univers hydrogéné à côté de lui, et de temps en temps, il le prenait, le renversait, et le reposait, et alors il contemplait les petits atomes s’agiter, se frictionner, faire des étincelles. C’était d’une splendeur hors du commun, et seules quelques civilisations sont aujourd’hui parvenues à recréer un semblant de cette expérience par le biais de dérisoires ’boules de neige - Paris - tour Eiffel’. En moins bien, il s’entend.
Finalement, à force de touillage et de millions d’années, cela finit par marcher. Les petites cellules s’organisèrent, formant des espèces de petits nuages vaguement intelligents. Ces nuages vivaient, mouraient, et s'échinaient dans l'intervalle à construire un semblant de civilisation, tranquille et indolente. Le plus grand bonheur de ces petits êtres était de se jeter dans les courants de l’univers, de se laisser porter pour rendre visite à leurs cousins les plus éloignés. Puis ils revenaient, et racontaient leurs aventures à leurs amis émerveillés. Et tout cela ravissait le caillou sacré.
La petite civilisation grandit paisiblement, se développa, construisit divers monuments, et se mit à l’art avec des ambitions somme toute modestes. La postérité retiendra de cette époque (charmante mais un brin monotone) quelques symphonies, et en particulier une sonate pour 4 nuages barytons et un soprano, intitulée ‘Ode au courant du Centre Univers’.
Même s’il est difficile de restituer la beauté bizarre d’une sonate chantée par des nuages, on pourra simplement résumer le refrain qui disait :
« Ah, ah, quel beau cosmos,
Comme il est agréable de se laisser porter
Par le courant du Centre Univers.
Flotter tel un songe,
Et traverser les immensités,
Ah, ah,
Et rendre visite au cousin René.»
La civilisation
hydrogénée prospéra, déclina.
Elle re prospéra,
re déclina.
Elle migra un peu plus
loin vers la droite dans l’univers, re prospéra, inventa
deux-trois trucs plutôt bien.
Le hula-hop vint à
la mode, puis fut rapidement oublié.
A vrai dire, le caillou sacré s’ennuyait un peu. Il n’y avait certes pas grand chose à reprocher à cette civilisation, douce et tranquille, mais il fallait quand même bien reconnaître que <ce n’était pas vraiment ça>.
Alors, hop, il laissa décliner puis s'éteindre cette civilisation sans histoires.
Pas lassé, le petit caillou recommença à touiller son univers. Il entassa ses bidules les uns sur les autres, et s’aperçut qu’il avait créé de nouveau types de machins. Genre de l’hélium, de l’oxygène, du carbone, dans ce style de trucs. Dire qu’il « vit que cela était bon », ç’aurait peut-être été excessif. Disons un petit 12/20, 'Encouragements'.
Et puisque la tendance était à l’empilement, le petit caillou parfait empila. Il en finit même par créer la force gravitationnelle, histoire que les choses s’empilent toutes seules, pour un maximum d’amusement.
Les atomes s’empilèrent, et formèrent des molécules. Les molécules s’empilèrent, les empilements de molécules s’empilèrent. A un moment, la divinité première ralentit un peu le rythme, avant que l’univers se résume à un gros tas. Parce qu’on n’aurait pas été plus avancés, n’est-ce pas.
L’univers
était donc rempli de tout un tas de nébuleuses,
poussières, astéroïdes, astres, trous noirs. Le
caillou était agréablement surpris. Ca avait quand
même plus de gueule que la précédente soupe
hydrogénée.
Maintenant que la structure globale était à peu près en route, Little Caillou fit s'allumer certains composants de l'univers comme des lampions de fête foraine. (NB : oui, le petit caillou divin avait imaginé l’idée du lampion de fête foraine avant le concept de l’étoile, c’est absolument confirmé par des sources sures)
C’est à ce moment que le petit caillou sacré commença à avoir une vague idée de ce qu’il allait faire de cet univers, et de la raison pour laquelle il l’avait créé. C’était pas trop tôt, bordel.
Le petit caillou s’attacha donc à préciser ses plans : il avait besoin d’une planète principale, sur laquelle il développerait une vie un peu sophistiquée, à base, disons, de carbone. Aussitôt dit, aussitôt fait, notre divinité attrapa une petite planète, y colla un peu d’eau et de chaleur. Histoire de faire les choses proprement, il créa quelques fioritures vaguement utiles, telles que l’ADN et les levers de soleil.
Dès lors, la vie crût et se multiplia. Pendant que les organismes se tâtaient pour voir si ça valait le coup de rester monocellulaires, ce genre de questions un peu existentielles, le petit caillou remplissait tranquillement la planète. Il mit des cailloux à son image un peu partout, histoire de marquer son territoire. Il imagina aussi des trucs franchement déments, propres à émerveiller le quidam : les cyclones et les aurores boréales, les mirages et les tours de magie, et puis aussi Edouard Balladur.
Pendant ce temps, la vie sortait de l’eau sans se presser.
Le petit caillou, un peu déconcerté, observait cet amoncellement de mollusques et d’octopodes minables. Ca ne réfléchissait pas, ça ne parlait pas, ça ne faisait pas d’éclairs. Un peu moumou.
Après une attente insensée, les gastéropodes vinrent s’installer dans le paysage. C’est à ce moment que le petit caillou inventa le café, dont il fit une consommation qu’on aurait du mal à se représenter.
Vinrent les insectes, les crabes et les araignées. Le petit caillou sacré inventa les amphets, puis la coke.
Au moment de l’arrivée des grenouilles, le petit caillou inventa l’extazy, et se fit la remarque que ce monde était d'un calme confinant au sinistre. Il créa donc le coassement des grenouilles, ainsi que les différents cris des animaux passés, présents, et à venir.
Puis le petit caillou se remit à attendre. Le plan l’exigeait. Et puis il avait bien créé l’ADN, maintenant, fallait assumer. Ceci dit, il nota dans un coin de son esprit de réserver une vie de merde à Darwin.
Les poissons arrivèrent. A ce moment, le petit caillou, qui avait décidé d’arrêter la drogue, connut un sérieux coup de blues. Mais il tint bon.
L’arrivée des tortues, des lézards, des oiseaux, et des mammifères ne relevait dès lors que de l’anecdote, du truc sans grand intérêt mais indispensable pour la suite des événements.
Quand le petit caillou termina sa déprime, les choses avaient bien avancé. Les mammifères avaient pris le dessus. Y en avait plein, partout. Au moment où les primates commencèrent à montrer quelque signe d’intellect, le petit caillou se dit que, enfin, 'ça y était'. Raison pour laquelle il décida promptement de descendre sur cette planète voir de près ce que ça donnait.
C’est donc ainsi qu’une entité parfaitement sphérique d’environ quatre mètres de diamètre se retrouva posée sur un bout de campagne qui n’avait rien demandé.
Le petit caillou (qui était encore assez encombrant à cette époque, nous reviendrons ultérieurement sur les causes de sa déchéance) regardait avec curiosité ces petits quasi humanoïdes lutter sans grand succès contre la famine, la maladie, et une pelletée de prédateurs plus malins qu'eux, tels l'ours, le puma, le chat et l'escargot.
Observant ses prometteurs bipèdes, le caillou effectua quelques tentatives de communication à base de 'gru' et de 'gné', mais sans grand succès. Alors, pour patienter, il s'occupa. Se fit vénérer, en se permettant quelques miracles faciles. Des offrandes de fruits des bois, des libations, des sacrifices d'enfants et de vierges, juste histoire de voir. Et pendant que les primates dansaient autour du caillou en chantant 'gru gru gné gné', (avec le plus grand respect, de peur de se prendre un éclair dans les fesses), la divinité méditait sur l'avenir. Maintenant, le plan céleste était lancé, il allait falloir jouer juste, et serré.
Dans le grand plan du gros rocher, l'étape 'Homo' n'était qu'un rapide intermède. Plus tard venait une espèce supérieurement intelligente et munie de tentacules (fruit des amours bizarres entre l'homme et le poulpe). Cette espèce, qui mettrait au point en une dizaine de milliers d'années la fusion thermonucléaire à froid, serait ensuite supplantée par une autre, munie de plumes, d'antennes, et de bosses, et qui viendrait rapidement à bout du continuum espace-temps. Et enfin, une autre, avec des rayures et un gros nez, qui viendrait à bout... du mystère de la mort... et aussi du mystère du con qui dit non, une sacré colle métaphysique, ne riez pas sombre crétin. Si vous riez, c'est que vous n'avez même pas compris la complexité du problème. Abruti de lecteur.
Avec ça, une grosse partie du boulot serait réglée, pensa le Petit Caillou. Le reste ne serait que question de flux massif d'entropie, de temps, et de souplesse. Pendant ce temps, les primates dansaient toujours en lançant des gné et des gru, l'air un peu tendu.
Le petit caillou se dit alors qu'en fin de compte, il avait bien mérité des vacances. Des vraies vacances. Pendant quelques dizaines de milliers d'années, histoire de bien couper, relaxation optimale. Mais pas trop longtemps non plus, histoire de ne pas perdre le fil. On dissocie le corps et l'esprit, on laisse l'entité physique aux soins des primates poilus, pendant que l'esprit parfait va se faire bronzer loin de toute cette médiocrité. Juste quelques petites dizaines de milleirs d'années... Trois fois rien... Le truc sans aucun risque... Avec un un peu de chance, à son retour, les bestiaux auraient réussi à se rendre vaguement utiles ou agréables.
Par exemple en cessant de manger leur caca. Oui, ça, ça serait pas mal, et juste assez ambitieux pour représenter un vrai challenge.
Le caillou divin fit ses dernières recommandations à son peuple idiot, à grand renfort d'éclairs, de nuages, de boums, de bangs, de gru et de gné. Puis il s'autodissocia, et partit. Loin loin.
C'est alors que les choses commencèrent à tourner au vinaigre.
À suivre...
Meu