Manuella”, le premier Opéra-Soap par écrit

Une exclusivité de l'Huître.



Manuella, princesse d'un royaume déclinant, se meurt de ses songeries romantiques. Son père, le roi Paolo, se résoud à organiser un tournoi pour marier sa moustachue de fille. L'arrivisme de nos semblables humains n'ayant pas de limites, trois jeunes princes viennent se proposer pour féconder la grosse princesse, et le moment du choix se rapproche maintenant.





Acte 3


Lever de rideau sur la cour du chateau. Le roi, les trois prétendants et la princesse, ainsi que son troupeau de jeunes filles sont là. La musique s'élève, solennelle.

Le roi s'avance, et s'enquiert de la décision de sa fille.

La poitrine de cette dernière se soulève alors qu'elle s'apprète à déclamer sa flame à Mannolo, dont la virile pilosité l'a complètement émue.

A ce moment, l'homme en noir aux cheveux long intervient. Il accourt sur scène, muni d'une oreillette.

Les spectateurs ont choisiiiiiii!!!!!”, s'exclame-t-il, alors que s'élève un roulement de batterie.

A cinquante quatre pourceeeeeeeents!!!!!”

Suspense. Manuella regarde tout ceci avec incompréhension.

RODRIGUOOOOOOOOOO!!!!!!”, hurle l'homme, alors que des spot-lights colorés illuminent l'heureux gagnant, et qu'une pluie de confettis s'abât sur la scène.

Les trompettes entament un air rappelant vaguement “sacrée soirée”.

Rodriguo s'avance, et se lance dans d'interminables remerciements alors que des gens en tenue de soirée montent sur scène offrir des fleurs au gagnant et à sa future femme.

Manuella regarde son père avec un air de “c'est pas comme on avait dit” empli de détresse. Le roi Paolo, peu fier, baisse les yeux. Il lui explique qu'il a reçu une forte somme d'argent du groupe ARP, qu'il en avait besoin pour rénover la toiture du chateau.

Manuella s'avance sur le devant de la scène, les yeux emplis de larmes. Le chef d'orchestre ordonne un calage musical. Les cordes s'activent sur un air tourmenté, les violons pleurent littéralement.

De sa plus belle voix, Manuella chante sa detresse. C'est si poignant, si sincère, que le public ne peut retenir ses larmes. L'indignation monte dans la salle. Les parents de Rodriguo ne comprennent pas.


C'est alors qu'arrive sur la scène un jeune en mobilette. Il apostrophe le roi Paolo:

Eh M'sieu, S'cuse-moi s'te plé! J'me suis mépo, j'dois allé à Noisy, y a la teuf ché Djodjo, tu sé comment on zyva?”

(Puis, regardant autour de lui:)

Zyva cé koi c'délire? C'est la gay pride ici ou koi? Tro mortel les collans et tou!”

Et à l'attention de Manuella:

Eh, sérieu mortel la grosse! Je t'verré bien dans la tournante de d'main soir, toi!”

Manuella, que le sauvageon ne laisse pas indifférente, en particulier de par sa singulière monture mécanique, et aussi de par son look insolent, qui privilégie le pantalon de survet rentré dans la chaussette à droite (et non à gauche ce qui aurait constitué dans sa tribu une faute de goût impardonnable), Manuella, disais-je, se prend à rêver, le mot “tournante” évoquant pour elle les valses éffrénées des bals mondains, le faste et les paillettes, les robes du soir et les uniformes des jeunes gens...

Visiblement, de par ses us et coutumes, le nouveau venu doit venir d'un royaume exotique et lointain, et Manuella, qui n'est jamais sortie de son chateau, lui sourit largement.

Elle s'avance et déclame avec force:

Oh mon preux chevalier, Oh mon boooooooon!

Je vous en prie emmenez moooiiiiiiiii!

Et dans vôtre exquis royaummmmeeuuuuu!

Faîtes-moi tourner encore et encoreeeeeeuuuu!”

Le tout accompagnée par un phrasé d'opérette. C'est guilleret, enjoué, le public suit avec interêt.


Rodriguo et Manollo protestent:

Manuella, Nonnnnnnn!!!

Manuellla il ne faut paaaaas!!!”

Dans l'orchestre, c'est l'effervescence, la musique incarnant la confusion et les tensions du moment. Jean-Bertrand Noulot, 4ième violon casse une corde et pousse un “Putain de merde!” peu discret. Un videur le sort.

Le roi s'emporte:

S'il te plait Manuellaaaaaaaaa!!!!!

Il faut oublieeeeeeeeeeeer!!!

Tout peut s'oublieeeeeeeer!!!”

Manuella monte à l'arrière de la mobilette qui s'enfuit déjà.

Le roi la suit du regard, et tombe à genoux:

Ma fille, Mon Nenfaaaaaaaaaaant!

Comment est-ce possiiiiiiiibleeeeeuuuuu!”

Rodriguo et Manollo chantent, chacun leur tour:

Ma promiseeeeeuuuuuu!!!!”

Mon aiméééééééeeuuuuuuu!!!!”

Pourquoi es-tu partiiiiiiiieeuuuuuu!!!”

Sans toi je suis seuuuuuuuuuuuuuuleeeeeuuuuuuuu!”

Oh Manuella, Manuellaaaaaaaaa!!!!

Qu'as-tu de fait de ta viiiiiieeeuuuuuu!!!???” (bis)

Le public semble apprécier le duo, les gens applaudissent en cadence.


La musique continue en fade out alors que le rideau se baisse.


Le rideau baissé, le public commence à rassembler ses affaires et se dirige vers les sorties lorsque soudain Manollo se faufile sous le rideau et déclame une tirade enflammée comme quoi ça ne peut finir comme ça, qu'il n'y a pas de fatalité, et que quoi qu'il en coûte, il retrouvera sa promise.

Le roi Paolo, dont la voix est fortement atténué par le rideau toujours baissé, chante son approbation. Il n'a qu'une unique fille, il ne la laissera pas à un malotru de seconde zone.


Le public a présent curieux stoppe sa progression vers les vestiaires.


L'orchestre amusé attend de voir ce qui va se passer.


Un homme à l'allure des plus sérieuses s'avance sur la scène, et commence à discuter avec Manollo à voix basse. Le spectacle est fini, lui dit-il, il fallait agir avant, maintenant il s'agirait de ne pas rester là, parce que ça va fermer. Le roi Paolo fend le rideau de son épée et rejoint Manollo. Il explique que rien ne sera terminé tant que l'on n'aura pas retrouvé sa fille, et qu'il faut agir vite. Il glisse plus ou moins discrètement une petite bourse de pièces d'or dans la main de l'homme, qui se retourne et déclare que ce soir exceptionnellement, il y aura des prolongations au spectacle. Un bon nombre des spectateurs se rassoient, l'orchestre joue un morceau d'ambiance alors que Manollo et Paolo retournent de l'autre côté du rideau.


** Attente ponctuée de chuchotements et toussottements **


Lever de rideau sur un square entouré de HLMs décrépis. Des jeunes gens vétus dans le même style que l'infâme kidnappeur de l'acte précédent déambulent nonchalament en fumant des cigarettes artisanales et coniques.

Manollo, flanqué de Rodriguo (que ses parents ont tânés pour qu'il fasse quand même un minimum pour retrouver sa future épouse et ainsi ne pas perdre la totalité de sa dot) arrivent en courant.

Manollo porte un pantalon violet à pâtes d'éléphant, une chemise jaune à col pelle à tarte et une veste en cuir. Il porte également un chapeau de feutre pourpre et de grosses lunettes de soleil. Quant à Rodriguo, il porte toujours un costume noir trés classe. Nos deux compères se sont munis de leurs épées, dont les pommeaux richement décorés exhibent les blasons de leurs nobles lignées.

Les musiciens s'evertuent à jouer un air aux rythmes modernes et urbains, aidés en cela par la grosse caisse et le triangle. C'est assez expérimental.

Rodriguo interpelle un jeune du quartier:

Ola mon boooooooon!

J'aimeraaaaaaaaaais vous poser une questiooooooooon

D'importaaaaaaanceeeeuu capitaaaaaaaaaleeeeuuuuu

Car en effet, mon compaagnoooooon, et moi-mêmeeeeeuuuu

Recherchons un hooommeeeeuuuuu,

(à l'unisson) qu'on aaaapelleeeeuuu Kaaaaadéeeeeeeeeer”


Le jeune essuie ses larmes de rire, se redresse, et s'avance avec ses amis (au nombre d'une bonne quinzaine, au style rebel et à l'attitude défiante). Il envoie une salve verbale à nos deux latinos, que j'aurais bien du mal à retranscrire, mais qui en gros exprime par le contenu un certain mépris.


Manollo intervient:

Ma promiseeeeeuuuuuu

m'a été priseeeeeuuuuuu (rime facile, le public s'énerve. Si c'est pour rester deux heures de plus, c'est pas pour voir un spectacle médiocre)

Je vous en prrrrriiiiiieeeeeeeuuuu (quelques oeufs commencent à s'écraser sur la scène. Un tir perdu atteint la veste de survet d'un sauvageon qui se jette dans la salle et s'en prend au public. La sécurité intervient.)

Aidez moi à retrouver ma Miiiiiiiiieeeeeuuuuu!”


Le chef de la bande rétorque, aidé de deux amis qui font des bruits en rythme avec leur bouches:

yo t'es ki toA

Tu viens dans ma téci,tu te présentes même PAs

Avec mes teupo, sérieux, on va t'apprendre, quoA

Ta teupu, sans dec on s'en bat les yeuk, GrAve

Alors gArs!

Retourne dans ton carnavAl

Ou avec mes frêres on va vous faire mAl!”


Manollo perd patience. Il dégaine son épée et transperce le malotru sous le regard médusé de ses “teupos”. Ceux-ci sortent leurs armes: canifs et cutters. Rodriguo se joint à Manollo. Les deux hommes, manifestement fort entrainés, manient l'épée de fort belle manière. Le combat, rendu épique par la savante orchestration des musiciens, est plutôt plaisant à regarder. Le public apprécie, qui encourage nos deux valeureux guerriers.

Ayant défait tous leurs opposants, sauf un, nos “héros” entreprennent de torturer l'infortuné afin de savoir enfin qui est ce kader, et ou il organise des “tournantes”.

Le public, tout d'abord amusé, n'apprécie pas les hurlements du jeune sauvageon, à qui l'on achéve d'amputer un quatrième doigt. Ca jure avec les beaux chants que l'on est en droit d'attendre d'un opéra.

Quelques laitues et tomates plus tard, Manollo et Rodriguo relachent le jeune qui a finalement cédé, et révélé l'adresse de la fameuse tournante.


Le rideau se baisse sur cette brillante victoire de deux chevaliers maîtres dans l'art ancestral du maniement de l'épée sur une bande de gamins de 15 ans.


Le public part massivement faire pipi, alors qu'une armée de techniciens de surface s'affaire à éponger le sang et ramasser les divers membres répandus ça et là.




A suivre.


Xi