“Manuella”, le premier Opéra-Soap par écrit
Une exclusivité de l'Huître.
Manuella, princesse d'un royaume déclinant, se meurt de ses songeries romantiques. Lors d'un tournoi regroupant les nobliaux les plus arrivistes de la région, le prince Rodriguo gagne le privilège de marier la riche vilaine. Mais par la plus grande des infortunes, Manuella est, quant à elle, tombée folle amoureuse de Mannolo le velu. Sur ces entrefaites, un d'jeune de la cité vient enlever Manuella, on se demande bien pourquoi.
Mannolo et Rodriguo se voient donc contraints d'unir leurs forces pour libérer la princesse à moustaches.
Acte 4
Dans la pénombre, le public se rasseoit avec moult murmures. Tout le monde a bien eu le temps de faire pipi, et quelques téméraires ont même fait caca. C'est maintenant la tension scénaristique qui remonte en flèche: que va-t-il advenir de Manuella ?
Le noir se fait, et une musique retentit, à base de 'Tataradas' trompettus. Dans la fosse, l'orchestre est en effectif réduit, certains de ses membres ayant refusé d'accompagner cet acte sur-numéraire (voir épisode précédent). C'est donc René le tromboniste qui a repris le tuba, ça fait un sacré changement pour ce tire-au-flanc habitué à jouer 3 notes discrètes par opéra.
Tatarada, tatarada, tatatatatataaaaaaa....
Le rideau s'ouvre lentement sur un
décor à la Mad Max: carcasses de voitures fumantes, MJC
en ruines, caddies de supermarchés traversant la scène
poussés par un vent de désolation. En un mot: la
banlieue.
Les cuivres se font plus discrets ;
violons et percussions commencent à jouer en sourdine une
petite mélodie urbaine à base de poum tchak.
Mannolo et Rodriguo les deux nobliaux entrent en scène côté cour, ils sont harnachés comme pour une croisade : casque, plastron, cotte de mailles légères, épée au côté. Mannolo porte un petit bouclier au bras gauche. Ils semblent fort nerveux, et avancent pas à pas, sans faire de bruit.
Soudain, un rat d'une taille de saint Bernard bondit d'un tas de gravats. Le monstre fait face aux deux chevaliers, il crache et montre les dents, des chicots pointus et pourris tels qu'on n'en trouve aujourd'hui que dans les régions les plus arriérées du Nord Pas de Calais.
En fosse, l'orchestre est pris au dépourvu, certains ayant entamé un simili pique-nique à base des sandwiches au pâté de Jean-Bertrand, seconde trompette, et de diverses barres chocolatées et pop-corn amassés par son ami Raoul, qui a la main balladeuse. (La direction décline toute responsabilité. Elle a exprimé à maintes reprises que devant la recrudescence il était déconseillé de laisser son sac à terre.)
Manollo et Rodriguo sonnent l'hallali (Lalali! Crie un Mannolo qui prend décidément tout au pied de la lettre), et se jettent sur le bestiau épées en avant. Le combat est homérique. Le sang et la tripaille giclent sur les premiers rangs.
Le rat, vaincu et tranché, est vite débarassé vers les coulisses où une armée de boat people rémunérée en anciens francs s'affairera à l'empaqueter pour le revendre rapidement aux fast foods avoisinants. Les deux bellâtres maculés de sang allument un feu de camp, et la lumière diminue progressivement sur ce paysage navrant. L'orchestre entonne une mélodie mélancolique; les deux hommes se lèvent, se râclent la gorge (chacun la sienne, bien entendu), et Mannolo entame la chansonnette.
« Ôôôôôô râââgeu, ôôô fatale avaniiiie, par quelle engeanceuuu traîtressseeeeu sommes-nous céans forcluuuus en cette effroyableu bassseu-fossseu ? »
Rodriguo, bien qu'un peu juste niveau vocabulaire, hurle son approbation avec un regard de cocker battu: «Tout à fêêê! »
« Notreuu diffooooormeuuu princessseu fut nuitamment enlevéééeeee par un casquettuuu sauvageeeon sarrasinnnnn »
(« Ouiiiouiii c'est çaaaaa » chantonne Rodriguo dans un contre-champ discret.)
« Et en ce soiiiiir morbiiiideu nous explorons la banlieue siniiiiistreu, où est recluse notre aiméeeeeeee Manuellaaaaaa. Sus, sus, sus, sus aux effroyaaaables marauuuuuds! »
Mannolo dégaine violemment son
épée et la pointe vers le ciel, ce faisant il perd
l'oreillette qui le reliait depuis le début de l'acte à
Jean-Adolphe Macquart-Darcourt, académicien et dialoguiste
d'opéras moisis à ses temps perdus.
L'air un peu perdu, les deux latinos
musculeux restent cois, et alors que le pouet final de la musique
crépusculaire retentit, il s'en sortent in extremis en
brâmant: « Oui ouiiiiiii! ».
Le noir se fait, des grincements sur scène semblent indiquer un changement de décors.
La lumière revient doucement sur un couloir de béton dans lequel les deux compères avancent prudemment. Une petite musique mystérieuse se joue, et les deux hommes s'arrêtent devant ce qui semble être une porte de cave. Alors que Mannolo s'apprête à defoncer le battant, le public retient son souffle. Un grand coup de pied, et les coéquipiers se précipitent dans l'obscurité, sur une musique digne de la chevauchée des walkyries.
Puis, aussi prestement qu'ils étaient entrés, nos bels chevaliers ressortent, l'air déconfit.
« Excusez-nous
mademoiselleeu, excusez-nous messsieuuuurrs,
Nous nous sommes trompés de
caveuuu, ne remettez pas votre culooootte pour si peuuuu.
Celle que nous cherchoooonss, madameu,
est bien moins bellle que vouuuuuus,
Et n'eussent-ce été nos
obligations, vous aurions-nous volontiers ... »
La tirade est interrompue par de
frénétiques cavalcades dans le couloir. L'orchestre
joue une musique déstructurée tendance Pierre Boulle.
Au milieu des tsing et des badaboum, un projectile mou s'envole et
atterrit sur scène : un sandwich au pâté.
On entend un violoneux gromeller après
son quatre-heures perdu dans la tourmente.
La musique se calme, et surgit le sauvageon à mobylette avec lequel Manuella, la garce, s'était enfuie. Sa casquette est de travers, et il a le regard hagard de ceux qui ont contemplé les pires horreurs. De surprise, la musique cesse, et le sauvageon entame une supplique désespérée de sa voix ridicule de prépubère.
« Grâceu, grâceu,
miséricordeuu,
écoutez moi messieurs
enculéééés,
j'implore votre pardon, enculéééés,
et votre aide car aujourd'hui nos
causes sont les mêmeus ! »
Mannolo et Rodriguo, surpris, rengainent leurs épées. Ils semblent se demander : « Mais depuis quand il chante, ce con? », alors que le jeune continue de son braiement calamiteux.
« Comme je regrette
aujourd'hui mon inconscienceeuuu !
J'ignorais, fou que j'étais,
quel démon je libéraiiiis
Quand cette moustachue je
kidnapppppiiiiiiiis ! »
Le solo suraigü de cette racaille, ainsi que cet ignoble passé simple amènent les larmes aux yeux de l'assistance.
« Nous fîmes tourner Manuella tant que nous pûûûûmes,
(pûmes!, reprend son gang hargneux)
Mais la bougresse ne se lassait jamais de nos coûtuuuumes.
(coûtumes!)
Elle prenait goût à la vie des citééééés,
(téci...euh... cités!!!)
et commença à nous faire désespéreeeeeer.
('spérer!)
La faire partir? Oui mais comment? »
(Riff angoissant de trompettes et hautbois)
« Re, re, reprenez là!
On, on, on n'en veut pas! »
Finale au tuba à base de pôpôpôpô, les sauvageons de banlieue prennent une pose suppliante et tragique, façon « radeau de la méduse ».
Du coup, les deux chevaliers sentent
leur motivation chuter en flèche pour la récupération
du fardeau, d'autant que, rappelons-nous le, l'un d'eux va devoir
l'épouser. Le seul obstacle à une fuite en bonne et dûe
forme, c'est que l'orchestre s'est arrêté de jouer,
attendant une réponse, et que tout le monde les regarde.
Finalement, Mannolo, avec un air de
comploteur constipé, bredouille vaguement en rythme:
« Euh, voyez, en fin de compte non, justement on allait vous la laisser, y a pas de souci, tranquille cool, voyez. »
Un désespoir ultime apparaît sur les visages ingrats des casquettus. Le plus rachitique d'entre eux, trop sensible, se jette tête la première dans la fosse d'orchestre, où sa boîte cranienne heurtant le sol éclate comme une pastèque pourrie.
Soudain, l'orchestre lance un grand Tadam qui réveille 23 spectateurs et amène Rodriguo le simple à mouiller son haut-de-chausses, c'est maintenant Manuella qui entre en scène.
Elle a l'air fort échevelée, son maquillage peu discret est à la fois approximatif et vulgaire. Elle porte désormais une effroyable casquette de basketteur US, et son string dépasse de sa robe de princesse, Dieu sait comment, ne me demandez pas de détails.
« Oooooh, bonheur! Mes deux
chevaliers sont venus me visiteeeer!
Dans ce nouveau monde d'aventure et de
libertinaaageeuuu,
Où les caves abritent mille et
un badinageeeuuus,
Oh oui messieurs, quel plaisir de vous
retrouveeeer ! »
Tous les hommes présents sur scène prennent un air catastrophé, et Rodriguo joue son sourire le plus faux pour répondre à Manuella:
« Oh, chère
princesse, le bonheur est partagééééé!
Et c'est justement de vous que l'on
parlaiiiit!
Votre père de vous se
languissaiiiit
Et un cadeau nous avait confiéééé! »
Rodriguo s'approche de la princesse à pas de loup... puis il dégaine son épée et la brandit d'un air mençant, avec un rire sardonique. Le public suffoque d'un « Gasp! » unanime. Manuella pâlit, balbutie, mais un courage insoupçonné lui permet d'entamer une tirade enflammée:
« Mais comment?
Que vois-je?
Que comprends-je?
Comment se fait-il?
L'homme de ma vie me trahit?
Aux armes, mes amis! Banlieusards,
défendez-moi!
Je suis la fille du roiiii!
Et toi, Mannolo? Tu quoque moustachi? »
L'orchestre cesse la musique pour permettre la réponse, mais c'est maintenant un silence gêné qui emplit la scène, chacun regarde mollement ses pieds.
Manuella, comprenant fort bien la situation, se laisse tomber à terre (boum) et prend une pose désespérée.
« Pourquoi, mais pourquoi
tant d'infamie?
Est-ce ma moustache, ma vilaineté?
Ma mauvaise haleine?
Mon herpès bubonique?
Mes cheveux gras ? »
A l'unisson, le choeur des hommes
répond:
« Oui,
c'est bien çaaaa. »
L'orchestre joue un 'tadam' dramatique
, et Manuella, qui s'était relevée, se laisse à
nouveau tomber lourdement, pour marquer l'effroi que lui inspire
cette navrante trahison (re-boum).
« Horreur! horreur! »
Pendant ce temps, Rodriguo s'approche en brandissant son épée, le public n'en peut plus de suspense.
Dans un dernier sursaut d'orgueil, Manuella entame sa dernière réplique, la mort dans l'âme:
« Hé bien soiiiiiiit!
Assassinez moiiiii!
Plutôt mourir que de supporter
cette infâmie!
Mais laissez moi vous prévenir:
Quand bien même je serais morte,
le trône ne sera jamais à vouuuuus,
Ma soeur Pamela, mon aînée,
Montera un jour sur le trôôôône,
et vous fera exterminer,
Bande de nazes. »
Rodriguo, ce rat machiavélique, retient son bras, et recule de quelque pas.
« Tiens,
ça alors,
ne nous fâchons pas pour si peu,
douceuu princesseuu,
Et cette Pamelaaaa,
Que nous ne connaissons paaaas,
Qui est-elle? Que fait-elle?
Nous pourrions nous réconcilier
gentiment autour d'un chopine? »
« Jamais, ordure!
Ma grande soeur est grande,
Elle est belle,
Elle est mannequin et célibataire,
Et elle vous pètera tous la
gueule! »
Alors qu'elle déclame sa tirade, Manuella, défiante, s'avance fiérement vers son agresseur. Son port est altier, sa démarche est noble, elle a la tête haute, et c'est tellement bête, car la voilà soudain qui glisse sur le sandwich au pâté et qui va s'empaler sans grâce sur l'épée de Rodriguo.
Batteries, cymbales, le public rit de bon coeur : les gags 'peau de banane' sont une valeur sure.
Rodriguo retire à grand peine son épée de la carcasse de la princesse, puis il lève la lame ensanglantée vers le ciel, et clame:
« Quelle maladresseuuu!
Vilaine princesseeuuu!
Nous, on va se taper ta soeur,
l'épouser,
Et passer notre vie sous les
palmiers! »
Le choeur masculin chante sa satisfaction débordante, pendant que Manuella, avachie sur la scène, pissant le sang, réplique faiblement:
« Mais je ne suis pas encore
morte! (tousse faiblement)
Je suis la fille du roi!
Mon père pour ce crime vous
chatiera!
(tousse tousse)
Quelle avanie, moi qui ne cherchais
qu'un mari!
Comme le monde est pourri! »
Au milieu de la liesse générale, Mannolo lance son finale:
« Hourrah, hourrah!
Tout finit bien pour nouuuus!
Un top-model nous attend, puis la
gloire et la fortuuuneeeuu,
Et Manuella ne sera plus qu'un pénible
souveniiireeuuu!
Hardi!
Et retenons la leçon,
La fortune sourit à qui sait la
prendre,
Un peu comme les femmes. »
Le rideau tombe sur cette réplique, les lumière se rallument, le public appaudit, bouleversé.
Quelques minutes plus tard, le public quitte doucement la salle. L'orchestre joue une petite musique d'ambiance, et chacun récupère, qui son manteau, qui sa parka.Et là, on entend comme le couinement d'une poulie résonner dans la vénérable salle de concert.
Le public, interloqué, se tourne vers la scène, et on voit un gros viellard barbu descendre doucement des combles, tenu par un filin d'acier. Il a l'air sale et méprisable, et se met à chanter d'une voix aiguë en raison du baudrier qui lui broie les glandes intimes.
« Infâmiiiie!
Infâmiiiie!
Comment en est-on arrivés là?
Quel effroyable dénouement!
Une telle hérésie n'aura
jamais sa place dans mon univers,
Une telle fin n'est pas digne de cet
opéra,
Et moi, Dieu, je consens à
sortir des nimbes
pour réparer,
une seule fois,
la bêtise des hommes! »
Le bonhomme touche enfin la scène, et le rideau se rouvre comme par enchantement. Nous y retrouvons le corps inerte de Manuella, entouré par le choeur féminin des caves de la cité.
Ces jeunes filles fument tranquillement
une cigarette pendant leur pause syndicale.
Le gros bonhomme louvoie discrètement
entre les travailleuses du sexe, et parvient jusqu'au cadavre vautré
là. Il prend un air d'intense concentration, exécute
une petite chorégraphie à la Bioman, puis scande:
« DEUS EX MACHINA! »
Et là, il met un grand coup de
pied dans l'entrejambe de Manuella, qui se met à brâmer
à la surprise générale.
Un petit couinement plus tard, le
mystérieux barbu s'est déjà envolé.
Les péripatéticiennes, bouche bée, se pressent autour de Manuella, qui se relève tant bien que mal, et brâme sur tous les tons:
« ARGH!
Horreur!
Infâmie!
Qui a mis un coup de pied dans mes
testicuuuleeuuus?
Tout respect pour les cadavres est-il
désormais perduuuu?
La trahison de mon amoureux
n'était-elle pas suffisanteeeuuu? »
Le choeur des femmes, perplexe, demande à l'unisson:
« Mais, Manuella, notre soeur, tu n'es pas mooorteeeuu? »
« Ben... non. »
« Mais Manuella, notre
soeur, tu as des testicuuuuleeeuuus? »
« Ben oui. Depuis ma plus
tendre enfance, j'en ai, et je vous prie de croire que la vie d'une
femme est bien difficile avec ces attributs contre nature. »
« Mais, Manuella... tu es
peut-être un homme, tout simplement? »
Musique tonitruante: la révélation!
« Ca... alors! Mais oui!
Tout s'explique!
Ma moustache,
(Sa moustache!)
Mon embonpoint!
(Son embompoint!)
Ma calvitie!
(Sa calvitie!)
Je suis un homme!
(C'est un homme!)
Comme c'est cocaaaasseeeeuuu! »
Une jeune fille, plus perspicace que
les autres, hasarde:
« Mais, Manuella, si tu es
un homme, c'est donc toi l'héritier de la couronne? »
Re musique tonitruante, re révélation.
« Mais c'est vrai! Je passe devant ma soeur Pamela dans l'ordre de couronnement! Comme c'est dur pour ma soeur chérie! Elle pour qui la vie était déjà bien difficile, avec son métier de mannequin chez Olida! »
Les femmes des caves éclatent de rire, et se mettent à danser langoureusement sur scène, genre peepshow. Le public a les yeux qui lui sortent de la tête.
Manuella monte sur une table, et entame son finale sur une musique triomphante. D'un coup, sa voix grave semble s'expliquer un peu mieux.
« Mesdemoiselles! Mes amies
de luuutteeeuuu!
Le sort nous a sauvées ce
soaaaar,
Entre nos mains est le pouvoaaaar!
Ensemble le royaume est nôtreeeeuuu,
Pour votre fidélité,
mesdames, je vous épouse touteeeeuus,
Et fais de vous-toutes des reines, mes
louteeeeuus.
Ensemble, mettons-nous en marche, et
allons botter le cul des abrutis qui ont voulu m'occire!
Hardi, ensemble!
Notre pouvoir était là,
et nous ne le voyions pas! »
Confetti, baisser de rideau, explosion d'applaudissements, la critique est unanime.
Fin.
Un opéra de Xi, avec la participation de Meu.